Spéciale dédicace à Bof., qui voudra bien j'en suis sûre la partager avec Saby qui aime le monde magique des fées.
Ma maman, qui était du 2 novembre, disait toujours qu’elle était née "le jour des morts".
Cette notion du Jour des Morts est très ancienne puisqu’elle remonte à plusieurs siècles avant la naissance de Jésus.
Tout commence il y a très longtemps, lorsque des hommes arrivent du Danube par vagues successives, passent le Rhin, et se fixent sur une terre fertile abondamment arrosée de cours d’eau, dotée d’un climat tempéré, ensoleillé et pluvieux, une sorte de jardin d’Eden qui, des centaines d’années plus tard, s’appellerait la France. Ces hommes, qui s'appellent eux-mêmes les Celtes, les Grecs et les Romains les appellent les Gaulois.
Peu à peu, ces "Gaulois celtes" répandent sur l'accueillant territoire sur lequel ils se sont installés leurs lois, leurs coutumes et leurs rites. Car ces ancêtres venus d’ailleurs aiment notre terre, ils l’ensemencent, la cultivent, la font fructifier, ils se battent jusqu’à la mort pour la préserver. Ils nous ont légué leur joie de vivre, leurs grandes gueules, leur imagination débordante, leur attirance pour le fantastique, leur goût pour la belle ouvrage, leur faculté d’adaptation et leur farouche amour de la liberté. Seulement voilà, un jour le besoin de jouir de tout ce qui fait du bien au corps remplace la certitude de la Survie de l’Esprit qui rendait négligeable aux premiers Gaulois la perte de la vie, et c’est comme ça que les rites se sont perdus dans la nuit des temps. Enfin passons, et revenons à nos Celtes.
Nous sommes au premier siècle avant notre ère, la quinzième nuit avant atenoux de Cutios (le premier novembre d’aujourd’hui). Oui, parce que nos ancêtres les Gaulois ne comptent pas les jours comme nous. D’abord pour commencer, ils ne comptent pas en jours : ils comptent en nuits. Pour eux, c’est la nuit qui précède le jour, et pas l’inverse (même si au bout d’un moment, on peut imaginer que la nuit ne va pas tarder à le suivre, enfin passons). Les noms des mois gaulois, n’en déplaise à Goscinny, se terminent par –os et pas par –ix. L’année gauloise commence en juin, par le mois de Samonios. Elle se termine donc en mai (logique) par le mois de Cantlos. Chaque mois est divisé en deux quinzaines, avant et après atenoux (la nuit du milieu).
Donc, pour en revenir à nos moutons, nous sommes la 15e nuit avant atenoux de Cutios, et nous fêtons Samonios, ou Samain, c’est-à-dire la célébration du début de la saison sombre – puisqu’il n’existe que deux saisons, la sombre et la claire.
Samain n’appartient ni à la saison claire (qui s’achève), ni à la saison sombre (qui va commencer). C’est une période autonome, hors du temps, "un intervalle de non-temps" qui permet aux vivants de rencontrer les défunts. Elle marque une rupture dans la vie quotidienne : la fin des conquêtes et des rafles pour les guerriers et la fin des travaux agraires pour les agriculteurs-éleveurs. Elle permet aussi aux défunts, non réincarnés, de passer dans le monde des vivants pour y retrouver les lieux et les personnes qui leur sont chers. C’est pour cela qu’elle est propice aux événements magiques et mythiques.
Comme toutes les grandes fêtes celtes, Samain compte trois jours de solennités: le premier est consacré à la mémoire des héros, le deuxième à celle de tous les défunts, et le troisième aux réjouissances populaires et familiales marquées par des réunions, des banquets, des festins de toutes sortes qui peuvent se prolonger une semaine durant.
La veille a lieu la cérémonie de la renaissance du feu. Les propriétaires des maisons ont éteint les feux de l’âtre avant de se rassembler à la nuit tombante sur la place où les druides ont procédé à l’allumage d’un nouveau feu sacré en frottant quelques bois secs du chêne sacré. Ils ont ensuite allumé de grands feux de joie sur les collines environnantes pour éloigner les esprits malfaisants. Puis chaque maître de maison est reparti avec quelques braises tirées du nouveau feu sacré pour rallumer un nouveau feu dans l’âtre de sa maison, feu qui doit durer jusqu’à la prochaine fête de Samain et protéger ainsi le foyer tout au long de l’année.
Dans cette dernière nuit d’Ogronios (31 octobre), le monde des morts, des fées et des sorcières entre en contact avec celui des vivants. Les âmes des défunts reviennent errer autour des maisons des vivants, c'est pourquoi on laisse la porte entrouverte et une place à table, et on place des lanternes sur les chemins pour les guider. Les enfants n’en sont pas effrayés. Ils savent toutes ces choses, puisque dès l’âge de sept ans, ils viennent recevoir l’enseignement oral dispensé par les druides instituteurs. Ils y apprennent par cœur la vie des héros - chantée par les bardes -, le calcul, le rythme des saisons, la composition de l’univers, le nom des étoiles, le courage, l’honneur, les droits et les devoirs envers leur peuple et envers leur famille. Les enfants ne craignent pas la mort, ils savent qu’elle n’est qu’un passage, que l'esprit ne peut pas mourir, qu’un jour, il se sépare du corps qu’il a animé pendant la vie et quitte le troisième cercle pour se fondre dans le deuxième, celui qui entoure le cercle central, celui de l’Incréé que Nul n’Ose Nommer.
Oui, cette entité primordiale, nul ne s’adresse directement à Elle. Ce sont des intermédiaires qui se chargent de transmettre les prières et de recevoir en Son nom des sacrifices, que dans la pauvreté de notre langage, nous appelons des dieux : Toutatis, le protecteur de la tribu ; Lug, le compagnon des voyageurs ; Tarranis, le dieu du tonnerre ; Cernunnos, le barbu aux cornes toujours renaissantes ; Sucellus, le frappeur au marteau, qui, le moment du passage venu, séparera le corps de l’esprit.
Mais les montagnes, les sources, les arbres, oeuvres directes de l’Incréé sans le secours de la main de l’homme, sont la preuve évidente de son existence.
Donc, cette quinzième nuit avant atenoux de Cutios, on ne se couche pas. On chante dans les rues, on boit et on ripaille. La joie est sur tous les visages, on danse sur la place, les manteaux bariolés des hommes se mêlent aux chitons des filles qu'on aperçoit sous leur cape. Les épouses se blottissent dans les bras de leur mari et les jeunes gens échangent des sourires. Un garçon essaie d’attirer l’attention d’une jeunette, elle peut avoir quinze ou seize ans, elle est fine, jolie, rêveuse, et comme toutes les femmes ne se mêle pas de la conversation des hommes. Elle fixe les flammes du feu. Il semble qu’elle a senti le regard sur elle car ses joues rosissent. Elle disparaît derrière une tenture, revient avec un pichet de cervoise, prend des timbales sur une étagère et sert à boire. Lorsque le jeune homme saisit la timbale qu’elle lui tend, leurs doigts s’effleurent.
N’est-ce pas comme ça que les amours se font depuis la nuit des temps ?