Le petit feu
Bonjour mes loulous,
le ciel est gris et les températures clémentes, un temps idéal en ce qui me concerne car je n'ai jamais aimé avoir trop chaud et ça ne s'arrange pas avec les années qui passent. D'ailleurs hier soir je me regardais dans le miroir, chose qui m'arrive rarement il faut bien le dire, pour ne pas dire jamais. Alors disons que je me suis croisée sans faire exprès.
J'aime bien ma silhouette. Bon, ok, depuis quelques temps elle tient plus de la bouteille d'Orangina (la petite, hein, celle dont on secoue la pulpe) à cause de toutes les cochonneries dont je m'empiffre depuis le mois de mars pour oublier que j'ai une grande épreuve à traverser, censée m'apprendre je ne sais quoi (j'attends toujours la grande Révélation), il n'en reste pas moins que, donc, ma bouteille d'Orangina toute en courbes et en rondeurs, j'aime bien.
Oui, je sais, je me fais des compliments, c'est très vilain, tant pis !
Le reste en revanche ..
Purée, à quel moment je suis devenue vieille ? Il n'y a pas si longtemps – ah si, ça fait quand même bien dix ans – je sautais de ci, delà, telle une rieuse gazelle qui se réjouit de tout et ne pense pas à son âge.
Mais bon sang, à quel moment ai-je mis un couvercle sur mon petit cœur qui bat ? Moi qui ai toujours été une grande Amoureuse devant l’Éternel, une fille qui accorde une importance sans borne à ce sentiment-là, avec son sel, avec ses larmes, avec son trop de tout, toujours trop, à quel moment ?
Pourtant, j’ai toujours fait partie des grandes adoratrices de cette secte. C’était toute ma vie, j’y puisais ma force, au besoin en redonnant un petit coup de fraîcheur aux histoires passionnelles qui me tombaient sous la main. Celle de Julie, par exemple, ma chère Julie dont je porte le nom, Julie qui a passé sa courte existence à se languir d’un homme qui se moquait pas mal de son p’tit cœur. Un petit cœur qui, comme le mien, fonctionnait à merveille : il battait fort, faisait des envolées, ding dong, c’était toujours la fête sur la planète.
Pour moi c’était pareil : l’Amour venait, me donnait l’impression folle de gonfler de partout, balayait toutes mes résistances, toutes mes réticences. Je me retrouvais ondoyée, baignée d’un fleuve neuf, le fleuve de l’amour qui me faisait sentir instantanément comme ça allait être fort, comme ça allait être bon, alors on s’embrassait, on se jurait, on se reconnaissait, on n’avait plus jamais froid. On était deux. Des fois on se mariait et on avait beaucoup d’enfants, on partageait une maison bleue accrochée à la colline et on se regardait dans les yeux jusqu'à la fin des temps…
Hier, devant mon miroir, je repensais à cette fille que j’ai été, digne descendante de Julie, friable et tendre comme de la craie. Je repensais à la décharge électrique qui me comblait, m’emplissait jusqu’à la folie de plaisir et d'amour, du bonheur d'être moi, du bonheur d'être à lui, qui me rendait pleine, indulgente et docile.
Qui me rendait Vivante.
J'ai les cheveux gris maintenant.
Pourtant, quelque part, silencieux, je me demande parfois si le petit feu est tout-à-fait éteint ..