‘‘ Le travail de détachement et d'épure, on ne peut le précipiter. Il faut attendre le mûrissement. Comme les fruits de l'arbre. Trop tôt on n'est pas prêt, trop tard, on ne peut plus. En tout cas c'est ce que je vis et que j'ai vécu. (...)
Tu me diras ce que produit en toi ce besoin de faire du vide.
AlainX: Ce matin, les écrits (alainx3.blogspot.com)
Je voudrais être comme cette jeune femme, aérienne, légère !
Je voudrais être comme cette jeune femme, voler, puis redescendre, puis repartir de nouveau vers le ciel !
Je voudrais que ma vie soit comme cette escarpolette, qu'elle me porte, me transporte au gré des vents joyeux !
Mais maintenant, je sais.
Je sais que cela prendra du temps.
Je sais que pour devenir légère, il faut d'abord s'alléger.
Bon, dit comme ça, ça semble tomber sous le sens. Mais pas pour moi. En tout cas pas avant que j'entre, il y a peu, dans une période de tri et de vide, chose qui a dû m'arriver, genre, deux fois dans ma longue existence. Car oui, je suis une personne qui garde, récolte, rassemble, s'attache, amasse. Du coup, mes proches m'ont toujours donné tout ce dont ils ne savaient que faire, et je me retrouve gardienne de la mémoire de ma famille (titre dont j'ai toujours été très fière, ceci dit).
Or, il y a quelques temps, cela m'a pris d'un coup. Ça a commencé par le tri de mes livres. Il faut savoir que j'ai (ou avais) encore mes premiers livres, celui sur lequel mon père m'a appris l'allemand par exemple, c'était écrit avec les caractères gothiques, comme dans la BD d'Astérix ! ou encore toute la collection de Jalna de mes 14 ans.
Je n'ai pas tout de suite compris. Je n'ai pas tout de suite compris ce que j'étais en train de faire, moi que ma mère appelait "Pot de colle", moi la glu qui s'attache et s'enroule et ne vous oublie plus jamais, qui vous aime pour la vie, tous, même vous qui vous payez ma tête, me grugez, me pompez jusqu'à l'os, je vous aime, je pardonne tout, j'oublie, j'oublie surtout le mal que vous me faites, c'est toute l'histoire de ma vie, ça.
Alors j'ai jeté, viré, donné. Je me suis défait de ce qui a du sens, surtout de ce qui a du sens, les livres recouverts de toute une histoire, mon histoire, avec tous leurs papiers glissés dedans, d'ailleurs j'ai retrouvé une lettre d'amour de mon ex.. Poubelle, benne à papier, plus ça a du sens plus je jette. Balayé, oublié, je me fous du passé, chantait Piaf. Sauf qu'au moment où j'ai commencé à le faire, je ne savais pas ce que j'étais en train de faire.
Dans la foulée j'ai trié les papiers de Maman. Ses factures, cahier de comptes, tout ce qui était recouvert de l'écriture de Maman, me rappelait mon lien à Maman. Là encore je tombe sur quelque chose qui me remue, un poème d'amour qu'elle a écrit à mon père le jour où je suis née. Il était rangé avec le dossier "Donation, actes de décès, enterrements", c'est-à-dire exactement là où il devait être : s'il ne doit rester qu'une chose maintenant que mes parents sont morts, c'est ce poème d'amour écrit le jour de ma naissance, qui, quel hasard, se trouve chez moi. Merci Maman.
Et puis ensuite je me suis attaquée aux penderies, aux placards. Il y avait ma couverture de bébé, la couverture où j'ai dormi toute petite. Elle avait mon âge, peut-être mon odeur, mais elle ne sert plus à rien, le bébé a grandi, vieilli même. Ça a été difficile mais je m'en suis défaite, comme de tous les livres qui m'ont servi pour les cours que je donnais, ça a été difficile mais ça ne sert plus à rien, n'est-ce pas; donc je m'en suis défaite.
Ensuite je me suis attaquée aux cassettes audio. Vous, vous savez ce que c’est, les cassettes audio, n’est-ce pas ? Ces choses d’un autre temps, du temps de mon ex, plus précisément.
Comme c’était bizarre d’entendre la voix du jeune homme qu’il fut. Celle de mes filles, petites (oui, comme dit plus haut : je garde, je garde !). Les discussions entre amis, les délires, témoignages grésillant d’un défilé ininterrompu des connaissances de ma première vie, celle de la femme qui parlait doucement, qui vivait doucement, comme s’excusant de tout.
La colère soudain, le chagrin, la souffrance aussi, parce que je connais la suite.
Les confessions à une amie : "Si je te réponds avec mon cœur de mère, je hurle."
Les cassettes rejetées dans leur boîte. Dur, dur. Trop dur.
Le coup de fil à ma grande, celle au sujet de laquelle "Si je te réponds avec mon cœur de mère, je hurle". Ma fille qui répond : "Mais Maman, ça n’existe plus tout ça. Il ne faut pas écouter les cassettes avant de les jeter, il faut tout virer, tout".
Me reviennent alors les mots de ma sœur, 19 déménagements au compteur, au cours desquels elle a toujours tout laissé derrière elle (c’est-à-dire chez moi) : "J’ai tout viré, les mauvais moments comme les bons."
Alors j’ai compris.
J’ai compris que c'est justement parce que c'est difficile de me séparer de toutes ces choses qu'il est indispensable que je le fasse. On ne peut pas en même temps avancer et rester derrière, accrochée à tous ces poids.
Si je me sens si mal maintenant avec les choses du passé (car c’est nouveau), c’est que la vie me montre ce qui est bon pour moi.
J'ai viré toutes les cassettes.
Toutes.