Comme une pivoine
Un jour on la croise en ville, surprise ! C’est une nana qu’il a connue au collège, une belle rousse toute en cheveux et en finesse, on en a tous connu, pas vrai ? Rappelez-vous, vous étiez au collège, ce n'était pas encore la mixité, enfin si, presque .. Dans votre classe, parmi la meute de filles, quelques gars qui restent dans leur coin, agglutinés, sans doute pour faire front à la masse pépiante qui jette ses nattes au vent.
La jolie rousse, on la voit de loin. Déjà, elle a des seins. Plein. Et puis des cheveux à enflammer les cieux et le cœur des garçons. D’ailleurs, vous l’avez vue une fois, renversée sur le bras d’un des gars adossé au mur du préfa. On ne lui voit que la chevelure rouge joliment ébouriffée, qu’il s’agira de replacer juste avant le cours d’anglais. Sa petite patte s’accroche, faussement pathétique, à la nuque du garçon auquel vous rêvez tant, tandis que lui flatte sans hypocrisie le modelé de la cuisse à travers la jupe souple.
À l'époque, votre mari qui ne l'était pas encore rêvait d’elle et les draps s’en souviennent. Sauf qu'elle, elle sortait avec celui qui vient de la quitter après lui avoir fait un fils.
Embrassades, joyeuses retrouvailles, échanges de souvenirs. Où habites-tu maintenant ? Pas possible ! À deux pas de chez nous ! Quel hasard !
Et voilà comment, tout juste séparée, elle passe ses soirées à la maison à pleurer ses amours mortes.
C’est jamais bon les filles seules pour un couple, tout le monde sait ça.
Enfin, tout le monde, sauf les jeunes couples qui ne le savent pas.
Donc, on habite la même cité, elle à deux immeubles du nôtre.
C’est moi qui dis à mon mari : "Raccompagne-là, tu ne vas tout de même pas la laisser rentrer toute seule, il fait nuit".
Il la raccompagne. Mon mari n'est pas contrariant. Il la raccompagne si bien, qu'un soir elle lui ouvre son lit, qu'à l'occasion elle partage aussi avec Rémy. Mon jeune mari prend ses jambes à son cou. Il a peur. Que lui arrive-t-il ?
Il vient dans mes jupons me narrer la chose dans le détail, les baisers les tendresses dans l’escalier et toutes les choses contre lesquelles il lutte. Pourquoi m’en parler ? Les hommes, parfois ...
Je sens une fureur sourde me monter du ventre. Cette fille, je la reçois chez moi. On rit ensemble, je la prends dans mes bras. Et elle ose. ELLE OSE ! Cela me fait une brûlure lancinante au dedans. Je ne dis rien, je sors en claquant la porte. Direct je vais chez elle, je cours comme une folle, elle ouvre, voit mon regard.
Elle comprend. Il t’a dit ?
Derrière elle du monde, plein de monde, et Rémy qui est là, je m’en fous, j’entre, elle m’emmène dans sa chambre.
On parle. Les battements de mon cœur font un bruit assourdissant dans ma tête. Pourquoi t’as fait ça ? Pourquoi tu m’obliges à te haïr alors qu'on s'entendait si bien ?
Mais tu ne me perds pas. Je reste ton amie. Elle caresse mes cheveux, que je porte longs à ce moment-là. Elle promet. Plus jamais. Plus jamais.
Quelques temps plus tard. On est tous les quatre. Les enfants dans la chambre de ma fille aînée. Je suis debout, je sers le thé.
Rémy se lève. Il me prend dans ses bras, bien que surprise je ne le repousse pas. Il me prend dans ses bras, face à eux deux, il m’embrasse dans le cou, il m’embrasse sur les lèvres, douceur infinie.
Leurs petits rires nerveux.
Je me rassois, rouge comme une pivoine.