La vie, elle est devant
Tu as dix-huit ans !
Je n'en reviens pas. Le temps coule comme la rivière, enlaçant avec nonchalance des souvenirs qui, par moments, affleurent, aussi nourrissants que le pain. C'est très doux, une invasion tendre, une pluie, une marée sans violence qui laisse jouer sur la tendre chair de ses flots la petite musique du passé.
Tu as dix-huit ans !
La lumière de tes yeux de bébé redessine les images d'autrefois et je regarde fleurir les jardins dont l'évocation me fait un petit soupir nostalgique à chaque pas.
Je ne le dirai jamais devant tes frères, mais ta naissance a été un des plus beaux jours de ma vie. C'est toi qui m'as faite grand-mère, comme avant toi ta tante m'avait rendue maman. Mon premier petit-fils ! Mon Dieu, j'en ai encore des frissons partout ! Mais, chut .. c'est un secret entre nous.
Tu as dix-huit ans, et je suis heureuse ! Tellement fière de toi !
Tu es une personne sensible, tendre, émotive. Tu es un garçon qui encore maintenant, a toujours besoin d'être rassuré. Je me rappelle quand tu étais petit, tu pleurais le soir parce que tu voulais que papa vienne te chercher – il était 23 heures – perdu sans tes parents, ton chez-toi, ton petit lit, malgré les 123 doudous qui prenaient toute la place (le petit frère n'avait qu'à dormir par terre). Je me rappelle les astuces dont j'ai dû user, toutes les histoires que je t'ai racontées pour que tu puisses t'endormir, tandis qu'à tes côtés, rien ne troublait le souffle tranquille de ton cadet, pas même tes cris.
Je ne te l'ai jamais dit, mais j'étais exactement comme toi. Toujours fourrée chez ma grand-mère que j'adorais, et pourtant, le soir, les démons revenaient. Il n'était pas rare alors que Maman vienne me chercher en pleine nuit, car nous, nous habitions la même ville !
Enfant, tu me faisais craquer, tu étais si protecteur, c'était tellement mignon.
Pas toujours facile, hein, d'être l'aîné ? On se sent investi de Dieu sait quoi. On ne s'en rend même pas compte, d'ailleurs. On ne le réalise que plus tard, bien plus tard, en voyant notre petit-fils tenir tendrement la main de son petit frère, lui caresser la tête, lui faire des câlins sans arrêt ... même si, le jour de la naissance, on a demandé à maman : "On le laisse là le bébé ou on le ramène à la maison ?"
Tu as dix-huit ans, mon grand garçon ! Tu passes ton bac, entres à la fac, prends un appart'… La tête me tourne !
Je caresse tendrement la mèche de tes cheveux blonds de bébé.
Je la remets dans l'album photo.
Je le referme.
La vie, elle est devant.