Une bulle de savon congelée
Une bulle de savon peut geler. Dans ce cas on peut la toucher sans qu'elle n'éclate, car elle devient beaucoup plus résistante. Il suffit de la bonne température et des bonnes conditions au bon moment et les bulles de savon, si fragiles, si éphémères, les bulles gèlent et se transforment en globes de verre finement ciselés que l'on peut même toucher sans les faire éclater.
Cette nouvelle a été comme un électrochoc. Moi qui me suis toujours sentie aussi fragile qu'une bulle de savon, peut-être que dans un environnement différent, on aurait pu me toucher sans me faire éclater.
Peut-être que je n'aurais pas été cette pauvre chose tremblante, mais au contraire une femme forte, celle que j'ai toujours rêvé d'être.
D'un seul coup mon environnement, l'environnement d'une vie entière, m'est apparu : les mots de mon père qui pleuvaient comme des lames de rasoir, les mots de l'Homme, ensuite, me faisant toujours me sentir coupable et nulle. J'ai baigné dans un amour qui fait mal, un amour qui n'a jamais été un refuge ou un espace où s'épanouir, juste un concept effrayant et violent, sacrifice de soi, de son individualité, de sa liberté.
Et pourtant.
Dans un autre environnement, j'aurais peut-être été une femme qui rit aux éclats sans qu'on la traite de folle, une femme qui pleure à gros bouillons aussi, et pourquoi pas ? J'aurais été une femme qui écrit sans être jugée, une femme libre d'être celle qu'elle est.
Au fur et à mesure que cette femme m'apparait, la femme nulle en moi se fait de plus en plus petite.
Me revient une phrase qu'un jour, j'ai surpris de ma mère à mon père – je pouvais avoir 18 ans : "Tu les brimes, tu les brimes, un jour elles vont éclater et partir !"
Est-il trop tard pour être une bulle de savon congelée ?