Un séjour en Suisse avec ma Marraine, rien qu'elle et moi. Juste après la frontière nous nous étions arrêtées pour admirer la montagne, qui en ce mois de juin de mes dix-sept ans était intégralement recouverte de gentianes bleues. Quel émerveillement ! Je n’avais jamais vu de gentianes de ma vie, et il y en avait partout, petites perles d’un bleu si particulier s’étendant à l’infini.. Elles embaumaient de leur essence le velours de la brise. J’en avais cueilli pour les faire sécher dans mes cahiers.
Mon Dieu, les virées avec Marraine ! Rien que nous deux, c’était tellement magique ! Ma Marraine était mon idole, mon maître absolu, mon Amérique à moi, mon idéal. Une "femme de tête" comme on disait dans ma famille. Une femme qui porte tout sur ses épaules, qui s'occupe de tout le monde, à commencer par ses parents pour qui elle avait fait construire un petit chalet sur son terrain.
Oui, je l’admire du plus profond de mon âme, je me rappelle les conversations sans fin que nous avions sur tous les sujets, je m’en rappelle une en particulier, nous étions partis tous ensemble en vacances en Grèce, j’avais 14 ans et déjà mon projet de partir loin (cap Nord ou Inde, mais non, ce n'est pas le tout ou rien !), je repense à cette longue conversation sur la mort avec ma marraine sur fond de Pirée, la nuit qui tombait doucement sur la mer Égée – autant ma maman ne lâchait pas un mot, autant sa sœur parlait longuement et de tout avec tous. Pour ce qui était de communiquer avec les enfants à qui elle parlait comme à des personnes elle avait une sacrée avance sur son temps je crois.
Oui, j’admirais son indépendance, sa ténacité, sa force et son inépuisable amour de la vie.
Pourtant, les trois sœurs, Marraine, Maman et la petite dernière, étaient parties dans l'existence avec peu d'atouts dans leur jeu. Six mois après la naissance de sa troisième fille, le papa qui avait tout juste 30 ans avait été emporté par la faucheuse noire, qui se moque pas mal des mains jointes et des supplications.
Pour une raison mystérieuse, c'est ma mère, alors âgée de 22 mois, qui avait été séparée de la sienne, d'abord emmenée dans la famille de Suisse jusqu'à ses 6 ans, puis chez ses grands-parents paternels en France jusqu'à ses 16.
Quand son papa était mort, quand elle avait été séparée de sa sœur chérie (ma mère), Marraine, aux genoux de sa mère usant ses journées à pleurer son amour disparu, l'avait entourée de ses bras :"Bon, Maman, qu'est-ce qu'on fait ?"
Ma grand-mère avait répondu : "Oh tu sais, ma chérie, quand on est née sous une mauvaise étoile.."
Marraine était restée interloquée. Qu'est-ce que c'était que cette histoire de mauvaise étoile ? Elle se jura qu'on ne l'y prendrait pas.
Elle me racontait souvent ses débuts de jeune mariée, pour commencer elle avait dû loger avec mon oncle chez les parents de ce dernier. Belle-Maman ne voyait que par son fils chéri, ignorant royalement sa bru qui pouvait bien aller se rhabiller. C'est comme ça que Marraine était partie habiter plus tôt que prévu dans sa "cabane du bonheur" alors même que les fondations de leur future maison, qui serait entièrement construite par mon oncle, étaient à peine creusées.
Mon oncle, parlons-en : il était toute sa vie, son amour et sa force. Il ne faut jamais se fier aux apparences : sans lui, Marraine n'était plus rien.
Quant à son tour, deux ans après mon père, il est allé rejoindre son ultime demeure, Marraine a stupéfié ses sœurs et ses enfants en sollicitant ma mère pour qu'elle l'accompagne dans la croisière qu'elle avait décidé de faire, à peine son mari enterré. Hors de question que la mort ait le dernier mot !
Maman s'était finalement laissée convaincre, malgré son deuil plus conventionnel ..
Avec le recul, je remercie ma Marraine : ça a été le dernier voyage de ma mère, qui est morte cinq ans plus tard ..
Parfois, je pense à ce qu'aurait été ma vie si ma Marraine avait été ma mère.. M'aurait-elle collé quelques coups de pied aux fesses, à force de me voir scotchée tout le jour à mes cahiers ?
"Écrire, écrire, écrire .. Oui, mais à part ça, qu'est-ce que tu fais ?"
Pourtant, nous avions des passions communes, la lecture, la musique, les voyages .. Chez elle où il y avait toujours du monde (outre le fait que c'était le lieu de réunion de toute la famille, quand elle était jeune elle gardait des enfants ce qui fait que ça ne désemplissait jamais ! ensuite elle a monté une entreprise familiale et tout le monde vivait ensemble), déjà quand j'étais enfant je la suppliais de me laisser entrer dans sa maison, et je finissais toujours par obtenir ce que je voulais : l'autorisation exceptionnelle de pénétrer dans son antre, caverne d'Ali Baba où régnait un grand silence, un merveilleux silence, à peine entaché par les cris de mes cousins qui jouaient dehors. Parfois, j'écoutais ses disques (Richard Anthony, Nana Mouskouri, Dario Moreno), mais le plus souvent, je m'installais dans un des fauteuils avec un livre, Marraine avait une bibliothèque comme on en rêve quand on aime les livres, un truc qui occupait tout un mur, des encyclopédies, des livres sur l'Inde, c'est comme ça que j'ai lu toute la saga des Jalna (16 tomes), la collection de ma marraine était en livres de luxe avec une jaquette toute moelleuse .. Il n'y a que dans les livres qu'on peut changer de vie, faire disparaître le poids des choses, gommer les vilenies et au bout d'une phrase, se retrouver soudain au bout du monde.
Quand je ne lisais pas, j'allais voir ma grand-mère maternelle qui habitait à dix mètres de là. Chez elle, le silence était différent, c'était un silence recueilli, un silence du passé.
Avec son accent suisse traînant, ma grand-mère me racontait inlassablement son enfance à Murist et sa jeunesse à Yverdon..
Ma Marraine.. Non, je n'ai pas sa force vive, son amour inépuisable de la Vie et sa foi en Elle. Comment fait-elle d'ailleurs avec tout ce qu'elle a traversé ?
Moi, je suis en craie, friable, vulnérable, j'ai envie qu'on me prenne dans les bras comme le fai(sai)t mon Géant (mon fils).
J'ai envie d'être enveloppée, pelotonnée, emmitouflée, tenue, retenue..
Je ne veux pas être un chef, juste un pot-de-colle, un p'tit Pot-de-Colle, comme disait Maman.
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Et vous ? De quelle personne aimeriez-vous parler ?
En ce moment je ne peux pas gérer d'envois en messagerie, mais si vous avez envie de partager, il reste les commentaires et vos blogs..
Belle journée à vous !
La cabane du bonheur