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19 février 2022

Comme un i minuscule

Une fois de plus, le blog de Délia ne veut pas de moi. Alors je vais commenter ici.

J'ai connu tout ce que tu décris, Délia, d'ailleurs ça me fait drôle d'être ainsi replongée dans mon enfance. Il n'y a que les mots qui changent, car les mots que tu utilises, je ne les connais pas.

Ce qui m'a le plus marquée c'est le moulin à café, j'avais le privilège extrême de le moudre, de tourner la manivelle dont tu parles, et de recueillir la poudre dans son petit tiroir, quelle odeur enivrante ! je ne l'ai jamais oubliée et j'aime toujours autant l'odeur du café !

Ma mère aussi était une tricoteuse née. Elle nous habillait des pieds à la tête, elle habillait même nos poupées ! nous n'étions pourtant que trois, la moitié de chez toi, ma mère ne voulait pas d'enfants, les enfants c'est une chaîne, ma mère ne voulait pas être enchaînée. Elle disait à mon père "Tous les enfants que tu me feras tu t'en occuperas !".

Je me rends compte avec le recul qu'elle était avant-gardiste ma mère, que c'était une rebelle.

Franchement, fallait-il qu'elle l'aime, cet homme-là, pour que par amour de lui elle s'assoit sur son indépendance, sur sa personnalité, sur ses libertés ! car nos mères, elles n'étaient que la femme de leur mari. Si le mari était cool – je suppose que ça existait – ça allait.

S'il était dur ..

Parfois, ma mère venait dans notre chambre, là où tous les soirs, mon père s'enfermait avec ma sœur et avec moi. En fait, elle ne venait que quand ma sœur criait. Elle s'interposait entre sa fille, sa petite fille dressée comme un i minuscule, et mon père, cet homme qu'elle aimait. Elle n'était pas bien grande, ma mère, et j'imagine comme son cœur battait à la volée à cause de l'effort inouï qu'elle faisait : oser tenir tête à son mari, essayer de nous défendre, sans qu'il voie à quel point elle tremblait. Enfin je dis nous, mais avec moi ça n'arrivait pas, je ne criais pas, je pleurais beaucoup, très silencieusement. Mais je ne criais pas.

Alors ma sœur, ma toute petite sœur, poussait doucement Maman vers la porte de la chambre. Elle toisait mon père, elle lui disait "tu fais ce que tu veux avec moi mais tu touches pas à maman".

Mais je cause, je cause, et je ne réponds pas aux questions ..

Je m'appelle N. J'aime ce prénom parce que je sais que maman l'a choisi avec soin. Elle voulait un prénom rare, et de fait, ce prénom était peu courant, voire complètement nouveau, au moment où je suis née.

J'aime mon prénom parce que je sais que mes parents étaient heureux quand je suis née, que je suis devenue leur priorité, et ce, malgré tous les malgré ..

Un jour, c'était au début de mon temps à l'École Normale, j'ai eu un malaise. J'avais tout le temps des malaises quand j'étais gamine, ça a commencé pour mes 2 ans, je tombais par terre, plop, les gens autour s'affolaient "qu'est-ce qui se passe, elle est morte !?", ma mère tranquillou répondait "oh c'est rien, elle fait ça tout le temps .."

Le drôle de l'histoire, c'est que pour me faire revenir à moi, mon père me filait des baffes .. enfin des petites baffes, hein. Des baffes d'amour, en somme.

Remarquez, les autres, c'était aussi des baffes d'amour. C'est pour ça que c'est si, si, si difficile, après, d'expliquer que j'aimais mon père, que c'est le seul homme que j'ai jamais aimé.

Donc, j'avais eu un malaise. J'étais libre, pourtant ! Une chose que je ne savais même pas que ça existait ! Je venais d'être admise à l'EN, puisqu'à cette époque lointaine des dinosaures on pouvait l'être après la 3e, j'étais interne (ce qui n'existe plus non plus), et je n'avais plus mon père sur le dos ! Je-n'avais-plus-mon-père-sur-le-dos ! Un conte de fée !

Ben même pas.

D'abord, j'avais abandonné ma sœur. Ce n'était pas conscient bien sûr, et je ne l'ai réalisé que mille ans plus tard, à la mort de ma mère, quand ma sœur, pendant toute la nuit qui a suivi, m'a déballé entre deux verres de rouge tout ce que je n'avais jamais su. Ses fugues après mon départ à l'EN – elle avait 12 ans à l'époque – sa nuit avec un clochard qu'elle ne voulait plus quitter tellement elle se sentait bien .. Mais les gendarmes l'avaient retrouvée - mutisme total de la frangine, comme d'hab - et ramenée chez mes parents.

Pas envie de raconter la suite.

Et donc je ressentais, malgré le fait que j'avais l'impression d'être au Paradis, je me sentais, comment dire, coupable. Pas bien. En tout cas, pas aussi bien qu'on est censée l'être au Paradis.

J'étais à l'infirmerie de l'école. Déjà, j'étais très surprise qu'on en fasse tout un pataquès. L'infirmière était adorable, elle me posait des questions, s'intéressait, je suppose que j'avais répondu quelque chose, mais quoi ? Pas l'essentiel c'est sûr. L'essentiel, personne n'en parlait. Ni la famille, ni les voisins quand ma sœur appelait au secours, ni l'école quand elle se pointait avec un œil au beurre noir et une dent cassée. Une dent de lait, mais quand même.

Je suis à l'infirmerie. Le docteur vient me voir. Un docteur ! J'en étais comme deux ronds de plan.

Il me prend la main. Ou peut-être pas, ça ne devait pas trop se faire à l'époque, mais dans mon souvenir, "il me prend la main".

Il est doux, bienveillant. Je ne connaissais même pas le mot à ce moment-là, surtout au masculin !

Et il essuie mes larmes.

Et il est rassurant.

Il dit :

"Sais-tu ce que signifie N ? N, cela veut dire : espérance" ...

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Commentaires
D
Je connaissais un peu ton histoire mais certains détails m'interpellent. Sans doute il est difficile d'imaginer par où une enfant peut passer quand elle est confrontée à la violence de ses parents ou d'un parent. Surtout si cette violence est gratuite, et elle l'est forcément. C'était la méthode employée à l'époque, dans la plus part des familles, contrairement à aujourd'hui où elle n'a cours que dans des cas plus rares, mais toujours à cause de vies brisées, saccagées qui en brisent et en saccagent d'autres à leur tour. C'est difficile, oui. Pouvoir se construire ou se reconstruire, est une épreuve. Je t'embrasse Ambre.
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A
Un témoignage loin de mon vécu, mais j'avais une amie en primaire qui avait des punitions corporelles de la main de son père, mais plus graves que des gifles… des coups de ceinture.<br /> <br /> Nous ne comprenions pas comment cela était possible. Même si mes parents ne voulaient pas fréquenter cet homme, ils faisaient leur possible pour inviter mon amie à la maison et lui faire passer d'agréables moments avec nous.<br /> <br /> Chacun son vécu, à voir parfois avec tendresse, regrets, compréhension et pardon dans certains cas.<br /> <br /> Il y a encore des femmes qui subissent, trop de femmes même, mais je ne pense pas que cela viennent de l'éducation des femmes aujourd'hui, mais bien plus souvent de la honte, de la peur, et surtout du silence de ceux qui savent et ne veulent pas voir.<br /> <br /> Tu as développé l'envie de te battre et une belle énergie comme tes écris le démontrent. Le plus important aujourd'hui est bien là !
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P
Effectivement il est très beau et original ton prénom, je n'en connais aucune, c'est dire. C'est réconfortant de savoir qu'on est né sous le signe de l'espérance. Il a dû t'en falloir beaucoup. Très belle note pleine de pudeur à lire entre les lignes... Et c'est vrai les pères qui ont connu la guerre ne sont pas tout à fait comme les autres.
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L
Mon père était un homme gentil.<br /> <br /> Il avait juste été rendu cinglé comme beaucoup par la guerre qu'il avait faite.<br /> <br /> Jusqu'au milieu des années 50 il a été dévasté par des cauchemars terribles, ma mère le consolait comme elle pouvait.<br /> <br /> Bref, la vie des hommes et des femmes est difficile, très difficile et les femmes ne sont pas toujours des victimes, elles sont aussi aimées.<br /> <br /> Trop souvent mal, et comme les hommes, victimes de l'éducation qui leur a été dispensée.<br /> <br /> Bref, le jugement des tripes est comme souvent, hâtif et peu pondéré...
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H
Je peux dire que tu as cultivé l'espérance, nos pères n'étaient pas simples, ils avaient connu la guerre et la guerre laisse des plaies.
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P
Des similitudes, oui...<br /> <br /> Plein de bisoudoux pour toi ma Solaire ! ♥
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F
Que de similitudes...<br /> <br /> Je te serre très fort dans mes bras Ambre.
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M
On sent que tout n’est pas raconté.... on sent l’émotion... merci de ta confiance Ambre Neige! Tendres pensées
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L
On parle beaucoup du monde patriarcal et de la domination masculine. C'est à ça que s'attaque #MeeToo, avec raison. Mais cela me semble insuffisant, ou plutôt incomplet. <br /> <br /> Il me semble qu'il y aurait, qu'il y a beaucoup à dire sur la soumission des femmes. J'entends par soumission l'acceptation de la domination par les hommes. Soumission inculquée depuis des siècles, bien sûr. Attention, mon intention n'est pas de dire que les femmes sont des victimes passives, je dis qu'elles ont intériorisé cette éducation basée sur le genre, tout ce qu'on décrit comme symboles de féminité vs la virilité.<br /> <br /> Une femme qui s'émancipe totalement du regard des hommes suscite la plupart du temps une réprobation sociale générale. Il n'est qu'à voir le regard encore trop souvent porté sur les femmes battues, violées, harcelées. Et tout autant celui porté sur les femmes qui ont passé 45 ans et qui vivent comme bon leur semble...<br /> <br /> Aujourd'hui, parce qu'on a enfin commencé à poser un regard politique sur tout ça, on a peut-être une chance de voir les choses changer. Pour nos enfants. Nos petits-enfants. Parce que cette violence s'exerce aussi sur eux, comme elle s'est exercée sur toi, sur ta sœur.<br /> <br /> Et la femme que tu es continue à vivre avec cet enfant-là...<br /> <br /> Baisers affectueux♥
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B
Il en faut de l'espérance pour surmonter tout cela..... Bon dimanche. Bisous.
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A
Bonsoir Ambre Neige,<br /> <br /> Beaucoup d'élégance morale, de pudeur et de bienveillance dans ce billet criant de sincérité.<br /> <br /> Belle soirée.
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X
Ben moi, il y a déjà pas mal de temps que j'avais deviné ton prénom. Mais j'aime bien Ambre.
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A
Souvent j'ai pensé que tu étais une résiliante.<br /> <br /> Un billet comme celui-ci me le confirme.<br /> <br /> Merci d'en témoigner, parce que c'est important de rapporter certains faits, de les replacer dans leur contexte, et ainsi d'ouvrir des portes à d'autres vers un peu plus de lumière.<br /> <br /> Donc je le redis : merci à toi.
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D
Bien chargée cette histoire. comme beaucoup. On ne sait pas tout et ne peut imaginer non plus. Mais tu sais, l'éducation parla force et par la violence c'était à la mode à cette époque. Il fallait nous dresser pour pas qu'on devienne rebelle. aujourd'hui c'est l'inverse, on est passé à l'autre extrême, celui de l'enfant roi. C'est pas mieux. Et pour pas qu'on se rebelle (qu'ils se rebellent) on a inventé d'autres méthodes. D'autres moyens et en définitive ça a même l'air de mieux marcher. Je te fais de gros bisous et te dis à demain. J'ai vu que mon blog avait fini par capituler et à bien voulu de toi en définitive. Tu vois que tu es une force de la nature ! personne ne peut te résister !
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A
Bonjour Estérina,<br /> <br /> Je t'avoue que pour te répondre au sujet de mon prénom, je songeais plutôt à quelque chose de léger … mais bon, les mots ce matin sont sortis comme cela. <br /> <br /> <br /> <br /> Merci pour tous les compliments lol, pas sûre que ce soit justifié, mais c'est pas grave, j'adore les compliments ! ;-)<br /> <br /> <br /> <br /> Sinon comme je viens de le dire à Marie je n'aime pas qu'on m'appelle par mon prénom ! lol<br /> <br /> je sais je suis bizarre mais c'est ainsi ! et puis ici, je me sens Ambre, cela fait tellement longtemps que j'écris avec ce pseudo que ça me fait vraiment bizarre autrement !<br /> <br /> <br /> <br /> Moi aussi je te fais de gros bisous Estérina ! Bon week-end à toi ! :-)
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E
Bonjour Nadège<br /> <br /> Oui c'est beau Nadège et peu courant. L'espérance et bien voilà un bien joli mot qui à l'évidence t'a permis de soigner les maux de l'enfance et faire de toi une femme, certes avec des blessures plus ou moins cicatrisées, mais une femme vive, drôle, intelligente, remarquable conteuse et surtout pleine d'empathie avec j'imagine un COEUR GROS COMME CA.<br /> <br /> Je te fais de gros bisous
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M
Bonjour Ambre ou plutôt Nadège ? Que dire après tout ce que tu vient de décrire, je suis stupéfaite qu'après avoir passé tant de souffrance tu sois aussi positive, enthousiaste (même si parfois tu as le moral dans les chaussettes), souriante malgré ce que tu as vécue avec ta sœur. Je ne comprendrais jamais pourquoi les pères se comportent ainsi parfois, cela me dépasse. Finalement la pension à été une bénédiction pour toi, un peu d'affection dans ces moments douloureux. On ne se doute pas que derrière des visages souriants se cachent d'atroces souffrances dont on ne parle pas. Respect! je comprends ton manque de confiance en toi ta peur de mal faire, de blesser, c'est plus clair maintenant. Une main rassurante oui on te devait bien ça;
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