Fête de la Rose à Gerberoy, 21 juin 2015
Quand je regarde en arrière et que je pense à ce que j’ai fait de ma vie, je me dis que je n’ai rien fait. Rien du tout. Je la trouve morne ma vie. Triste et morne.
Et puis l’autre soir, j’ai eu une discussion avec ma fille aînée, elle me faisait part de sa peine, de son chagrin immense de n’être jamais mère. D’une manière tout-à-fait fugitive j’ai pensé à tout ce qu’elle avait pu faire (comme partir en Corée) précisément parce qu’elle n’est pas mère, mais je me suis dit que ce n’était vraiment pas le moment de montrer les éventuels bons côtés d’une vie de patachon puisque, précisément, elle exprimait ce jour-là la souffrance qu’elle ressent de plus en plus de ne pas avoir d'enfant, maintenant qu’elle a franchi le cap des 40 ans qu’elle s’était fixé. Ceci dit, c’est tout à son honneur ! Si tout le monde réfléchissait autant qu’elle a réfléchi avant de faire un enfant, le problème de surpopulation serait réglé en trois coups de cuillères à pot ! Mais ça non plus, je n’en ai rien dit. Et puis voilà qu’elle me sort "Même toi tu m’as dit que si j’avais vraiment voulu un enfant je l’aurais déjà !". Je modère ses propos (mais oui, je modère ! Je sais faire ça maintenant !) : "Je ne pense pas t’avoir jamais dit une telle chose... Tout au plus j’ai pu dire quelque chose comme : tu ne voulais pas d’enfant À TOUT PRIX comme moi !"
"Ah oui, c’est ça !" reconnait-elle. "Tu comprends," a-t-elle poursuivi, "je veux aussi continuer à travailler, faut bien vivre ! Je ne me vois pas faire un enfant et le faire garder par quelqu’un !"
Oh oui, je comprends ! (Qu’est-ce que cette gamine me ressemble, c’est fou!). C’est eg-zactement ce que je m’étais dit lorsque, à mes débuts d'instit’, je m’étais retrouvée enceinte d’elle. Pourtant, Dieu sait que "maîtresse", c'était le métier dont j’ai toujours rêvé ! Le seul, l’unique, depuis toute petite : à tous les Noël, une mallette de "maîtresse d’école", avec images, bons points, petits tableaux et bâtons de craie. J’avais réalisé mon rêve, j’étais instit’, fonctionnaire, avec la garantie de l’emploi et un salaire plus que confortable pour une jeune femme de 21 ans (choses dont je ne me rends compte que maintenant quand je regarde mes bulletins de paie de l’époque !). Seulement voilà, je n’ai pas, comme ma grande, réfléchi au comment du pourquoi ! (En même temps, si un enfant se faisait en réfléchissant, ça se saurait !). Je voulais un enfant, que dis-je un enfant, des jumeaux, des triplés, plein ! Si bien que quand je suis tombée bêtement amoureuse (là encore, c’est la nana que je suis devenue qui s’exprime, mais à l’époque je trouvais ça très intelligent d’être tombée amoureuse comme une dingue!)(peut-on être amoureuse autrement que comme une dingue?), si bien, disais-je, que follement amoureuse m’est venu aussi sec le désir d’avoir un enfant. J’avais 19 ans à l’époque, et le bougre, qui n’en avait que 18, m’a fait languir une année. Je vous prie de croire qu’il l’a vue passer, je l’ai travaillé au corps pour lui démontrer tous les avantages d’un tel projet! Bref. C’est comme ça que j’ai eu son autorisation d’arrêter la pilule. Le mois d’après j’attendais Fille Aînée.
J’ai passé neuf mois sur un petit nuage, parmi les plus beaux neufs mois de ma vie. J’avais arrêté de fumer (quand même) mais pour le reste, je n’ai rien changé à ma vie d’alors. Mon ventre et moi, on s’est bien marré. Sauf à l’accouchement, qui m’a quelque peu surprise vu comment Maman m’avait présenté la chose – je vous raconterai, si vous voulez.
Or donc, ma fille est née. C’est là que j’ai réalisé : il m’était viscéralement impossible de confier mon bébé à qui que ce soit. Car si le rêve de toute ma vie était d’être instit’, l’autre rêve de toute ma vie était de faire des enfants et de m’en occuper. Pas de les mettre en nourrice, à la crèche ou Dieu sait quoi.
En fait j'avais aussi un troisième rêve de toute ma vie qui était d'être fille-mère. Mais vous savez comment ça se passe : le Destin n'en fait qu'à sa tête, vous fait tomber bêtement amoureuse du premier beau jeune homme plein de sève qui passe et hop! Tous vos plans tombent à l'eau!
Enfin bref.
Puisque donc il était inenvisageable pour moi de laisser ma fille en garde, j'ai filé ma dém’ à l'Éducation Nationale. Je sais, c’est un peu radical comme décision. Mais je n’ai jamais franchement été dans les nuances. À ma décharge, on ne "communiquait" pas comme aujourd'hui, il n’y avait pas moyen de s’exprimer, de trouver des compromis (mettons de côté le fait que ce mot bizarre, "compromis", n’est apparu dans ma vie que très récemment, de toutes façons). Et quand bien même… Quand j’avais une idée en tête .. Et puis j’étais "à bonne école" : mon père m’avait reniée (carrément !) le jour où j’ai décidé d’aller vivre avec mon ex qui n’était évidemment pas encore mon ex, aux prétextes fallacieux qu’il était trop jeune (17 ans), qu’il avait les cheveux longs, ne bossait pas et habitait encore chez ses parents. La mère que je suis devenue comprend les craintes de mon père à ce moment-là, mais de là à me virer comme une malpropre ! Va, vole, et ne reparais jamais devant ma face ! Mon père, ce n’était pas franchement les nuances non plus !
Comme on habitait la même ville, forcément je le croisais. Il m’ignorait superbement ! Papa, purée ! Qu’est-ce que j'ai dérouillé! Sais-tu que c’est à cause de toi qu’après, j’ai enchaîné les mecs qui ne me regardaient pas, que je suppliais à genoux de m’accorder quelques miettes ? Enfin passons. Tu t’es bien rattrapé en tant que grand-père, alors je te pardonne. Et puis de toutes façons, pf.. je t’ai toujours aimé.
Bon, où en étions-nous ? Ah oui, mes rêves. J’ai donc choisi mon rêve de trois kilos deux versus ma carrière professionnelle. Mes parents ne me l’ont jamais pardonné. Déjà que j’avais fait fort en épousant un bab cool, alors là je les ai achevés. "Tu fais vraiment n’importe quoi !" m’a seriné ma mère tout au long de sa vie.
Je me demande si ce n’est pas pour ça, ce sentiment que j’ai d’avoir tout raté ?
Or, comme vous le savez maintenant, je suis devenue une femme calme et posée. Enfin, pas encore tout-à-fait posée, mais je sens que ça vient. La preuve: j’ai décidé d’essayer d’être fière de ma vie.
Fière de ma vie morne et monotone jalonnée de couches et d’enfants (j’en ai élevé sept, dont trois à moi). Fière d'avoir donné des heures et des heures de cours, même le dimanche matin ! Fière d'avoir chanté des berceuses, raconté des histoires, passé des nuits blanches à consoler des chagrins, fière d'avoir lavé des mètres carrés de sol, des mètres cubes de vaisselle, tout autant de linge, d'avoir plié, repassé, épousseté, rangé, d'avoir fait des dessins, organisé des jeux, cueilli des légumes, ramassé des fruits, confectionné des gâteaux, préparé des confitures, soigné les bobos, écouté les jérémiades, pansé les blessures, fière aussi d'avoir pris soin de l’homme quelle que soit l’heure du jour ou de la nuit, de l'avoir écouté, bichonné, d'avoir compati à tout, d'avoir trié des papiers, payé des factures, écrit des lettres, géré des comptes, affronté les mécontents et trouvé des compromis, moi la moins grande comprometteuse de tous les temps! Fière d'avoir rassuré, concilié, arrangé, de m'être occupé des mamys autant que des petits! Fière de n'avoir "rien fait de ma vie" ! À part trois enfants...
Trois enfants. TROIS.
C’est énorme, quand on pense à toutes les personnes qui ont envie d’être parents et qui ne le sont pas, pour diverses raisons. C’est énorme: c’est ce dont je rêvais!
Au mariage de mon cousin (celui que je n'ai pas épousé ;-))
enceinte de six mois..