C'est pas ton année
Alors, comment dire ?
Il y a la moi qui revis. Celle qui retourne nager, qui n'y croyais plus, mais qui se retrouve là, au milieu de l'eau, dans son élément qui sent si bon la joie, la liberté et le chlore, à frimer devant son petit monde, l'accueil, les maîtres-nageurs, l'homme de ménage (peut être sa fonction a-t-elle un autre nom maintenant ?). On aurait dit qu'ils m'attendaient, sans dec, tous contents de me revoir, c'est comme s'il leur manquait quelque chose, enfin en l'occurrence, c'est à moi qu'ils manquaient.
Et puis il y a la moi qui n'est pas en train de nager.
Celle qui est mère, celle qui est sœur, celle qui a tout foiré.
Qui se pose des questions sur cette drôle de vie qu'on veut à tout prix qu'elle soit belle même quand elle est moche, et pourtant, Dieu sait que je l'ai aimée la vie, même quand j'étais petite, même malgré les coups, je ne pouvais pas m'empêcher de l'aimer cette chienne de vie, allez savoir pourquoi ? parce que mes parents s'aimaient, que l'amour était palpable, que c'est ça qui nous tenait debout, unis ? parce que mes parents nous aimaient, oui je sais La Baladine, t'es pas d'accord, un père qui frappe c'est pas un père qui aime, et pourtant .. D'abord, c'est quoi l'amour, hein ? J'ai pas frappé, mais ai-je mieux aimé ?
Mes filles ne sont pas heureuses, la seconde surtout, et si on peut se dire qu'à un moment, les enfants nous échappent et que ce qui se passe c'est pas de notre faute, c'est leur responsabilité, je ne suis pas entièrement d'accord (vous remarquerez que je fais les questions et les réponses, je me laisse parler jusqu'au bout, chose que peu de personnes font lorsque j'ouvre la bouche (à part vous, qui êtes formidables, et c'est pour ça que je vous aime)).
Mes filles donc. Et la seconde en particulier. Qui a voulu tout bien réparer sa famille d'origine.
Le mariage en blanc. Tu te rappelles, chérie, combien de fois ai-je dit que je rêvais de me marier en blanc (comme dans les contes de fée) ? jamais fait. Tout foiré. J'ai épousé un type qui ne voulait pas d'enfant alors que j'en voulais quinze, qui ne croyait pas en l'amour, mais aux amours (les siennes).
Le mariage en blanc tu l'as fait.
Mais ton mariage a fini par casser. Parce que le père ressemblait trop au mien, à moins que ce ne soit au tien, ce qui, l'un dans l'autre, revient un peu au même.
On ne va pas ré écrire l'histoire, on ne peut que l'améliorer, si possible. Mais la note est salée.
C'était ça, ce début d'année un peu épique (et colegram), le mal-être de ma fille, ma robe rangée le 31, ressortie le soir (repas de réveillon reporté au 1er à midi), puis finalement re-rangée (ma pauvre, c'est pas ton année – on console sa robe comme on peut).
Finalement, le 1er, pendant que mon frère traversait toute l'Île-de-France avec ma fille pour lui trouver un docteur (trouver un toubib le 1er de l'An, bonjour, déjà que c'est devenu une denrée rare) j'ai demandé à mon petit-fils ce qu'il voulait faire.
Aller au cimetière.
Ah ?
Après tout pourquoi pas, est-ce qu'il y a un jour pour ça ? Et puis, moi qui déplore que personne de la famille qu'il me reste ne s'intéresse à mes recherches, je ne vois pas plus loin que le bout de mon nez : j'ai un petit-fils, là, qui réclame sans arrêt d'aller voir ses ancêtres (dixit), qui pose des questions, qui s'intéresse.
Donc, me voilà, un 1er janvier, au cimetière, avec mon petit-fils.
Je réponds à ses questions, lui parle de mes grands-parents, de mes arrières, de mes cousins décédés.
Nous sommes là devant les tombes, au milieu des vivants d'avant.
Et puis il y a ma sœur, l'autre face de ma pièce, mon autre moi-même. Ses problèmes de santé.
Celle qui de nous deux a toujours été la plus forte, la battante. Qui baisse les bras.
Et puis il y a tout le reste ma foi. Pour dire que cette année, le cœur n'y était pas. Alors Praline, franchement je te comprends. Difficile d'être heureux avec toute cette misère, souhaiter la bonne année, bien sûr, du fond du cœur, mais j'ai envie de dire, surtout, remercier.
Remercier quand on est debout, qu'on a la santé.
Remercier quand on a un toit sur la tête qui ne s'est pas envolé.
Remercier de vivre dans un pays encore en paix.
Et puis prier.
Ça fait longtemps qu'on ne prie plus, qu'on ne pense plus qu'à soi ou à critiquer. Qu'on n'ouvre plus son cœur.
Oui.
Il faudrait prier.