Chienne ou sirène
C'est l'histoire d'un mail parti le mois dernier et qui n'est jamais arrivé.
C'est l'histoire d'un mail renvoyé hier et que j'ai enfin reçu.
Ce mail était plein de mots, mais surtout plein de larmes. Cela m'a bouleversée.
Alors, ma sœur de partage et de circonstances, toi qui as réussi le tour de force d'accoucher le même jour que moi et à la même heure (mais pas au même endroit, sinon on se serait connues avant), puisque tu me le demandes, me revoilà parmi toi, me revoilà parmi vous..
Il est vrai que je me sens, comment dire, un peu comme l'automne. Je perds mes feuilles, mes stylos et mes mots, je ne sais pas quoi dire, quoi écrire ni partager. Je suis desséchée de la communication, j'ai l'inspiration qui s'étiole ..
Pourtant, je peux faire une liste de tous mes bonheurs retrouvés !
Je reprends le train. C'est merveilleux. Je ne me lasse pas de faire biper mon ticket, en attendant de me procurer un passe navigo, puisqu'il paraît que celui que j'ai et qui date du covid n'est plus valable. D'ailleurs, les tickets en carton vont disparaître. Qu'est-ce qu'on va devenir ?
Je mets de la musique et je danse en faisant la vaisselle. Quel bonheur ! C'est comme pour la nage, ce n'est pas que je sois une danseuse sublime, mais c'est tellement bon de pouvoir de nouveau jeter mes bras et mes jambes n'importe où en écoutant Presto tutto, presto tutto, sarà più bello, Addormentati bambino, e sogni d'oro !
Je retourne nager. Ça, c'est le nirvana. En plus, je suis merveilleusement accueillie par les membres de ma deuxième maison. Visiblement, on est content de me revoir. Ça me fait plaisir. À quoi ça aurait servi que je me casse la margoulette, sinon ?
La dernière fois, la jeune femme de l'accueil qui est là quand ce n'est pas ClaOdio m'a demandé :"Vous ne voulez pas reprendre une petite carte comme avant ?".
Ah non, je n'en suis pas à mon rythme d'avant, je fais les choses petit à petit, doucement, j'apprends à faire attention et à prendre mon temps. C'est pas facile, même pour quelqu'un de patient comme moi.
Hier, malgré les chasseurs, je suis retournée dans les champs. Ça me manque trop. Marcher en ville, franchement, c'est pas pareil ! je suis revenue avec des étoiles plein la tête et les baskets pleines de boue, ce qui m'a donné l'occasion de changer de chaussures : je vais pouvoir virer les élastiques que j'avais mis en guise de lacets quand je devais encore utiliser un chausse-pieds pour me chausser.
Malgré tous ces merveilleux bonheurs, je pleure dans mon sommeil. Je me réveille tous les matins avec des larmes plein les yeux. Pourquoi ? trop de bonheurs d'un coup ?
Ou alors c'est la réalité. La réalité rattrape mon inconscient. La guerre, la haine, vous savez, tous ces trucs tellement moches que les humains sont capables de faire, même s'ils sont aussi capables de faire des trucs tellement fantastiques !
Tenez, par exemple hier. J'ai regardé Ça commence aujourd'hui. Le thème était les féminicides. J'ai écouté le témoignage d'une jeune femme, dont le père a été tué par un de ces détraqués d'homme violent. Le type a écopé de 30 ans dont 20 avec sursis. La vie d'un homme ça vaut 10 ans, lui il en a flingué au minimum 4, des vies, celle de "sa femme", son jouet, son souffre-douleur qu'il n'a pas réussi à tuer malgré tous ses efforts, celle de l'enfant qu'ils ont eu ensemble, celle des parents de son joujou (dont le père qu'il a massacré à coups de crosse, donc), mais il va quand même s'en tirer. Ça donne pas envie de pleurer ?
Allez, je vais danser dans ma cuisine pour oublier que parfois, la vie est vraiment moche ..
Et vous, l'existence ?
Chienne ou sirène ?