Plusieurs fois par jour
J’en aurais dévalé, des escaliers, dans ma vie !
Pour commencer, ceux de la maison de mes grands-parents. Cette maison n’existe plus, elle a été démolie. Elle se situait dans une rue très vivante au cœur de la ville, où ils avaient acheté un fonds de commerce de teinturerie avant la guerre. Heureusement, car quand mon grand-père a été mobilisé et que ma grand-mère s’est retrouvée seule avec ses deux fils, elle a pu subsister grâce à son commerce. Elle travaillait 22h sur 24, disait-elle.
Au-dessus de la boutique, on accédait par un escalier à leur petit logement – WC dans la cour – composé d’une chambre, une cuisine, une salle à manger avec un divan et une grosse télé noir et blanc. Il y avait aussi le piano de mon père. Il y avait également une pièce interdite aux enfants, car mon grand-père y mettait ses outils de menuisier. Ma grand-mère disait qu’il y avait un gros nounours dans cette pièce pour me faire peur et me dissuader d’y aller (ça marchait très bien).
"Nounours", c’est comme ça que m’appelait mon oncle, car je me renfrognais souvent, j’étais une petite fille sensible et craintive, or les hommes de ma famille avaient une très grosse voix, parlaient fort et se disputaient souvent au sujet de ce qu’il s’était passé quand mon grand-père était revenu de la guerre. Quant ils criaient cela me faisait peur et je pleurais.
Dans la pénombre, immense comme la mer, un jeté de lit bois de rose, avec assise dessus, une magnifique poupée de porcelaine. C’est la chambre de mes grands-parents, qu’ils avaient cédée à ma mère avec moi bébé (mon père était bien malgré lui en Algérie), puis à mes parents, jusqu’à ce que, pour mes quatre ans, les auteurs de mes jours obtiennent enfin un logement bien à eux.
Ce logement était situé au quatrième étage et c’est là que j’ai connu mon deuxième escalier.
L’appartement était petit, une seule chambre que j’occupais avec ma sœur, un séjour dans lequel mes parents avaient mis une "cloison" pour avoir "leur chambre". Mon frère dormait dans la salle. Sa surdité lui permettait de vivre dans une sorte de bulle, ce qui ne l’empêchait pas, me raconte-t-il encore, d’entendre nos cris quand Papa était avec nous dans la chambre !
Les escaliers de cet immeuble, je les dévalais plusieurs fois par jour. J’avais l’autorisation de Maman d’aller chercher le courrier, un de mes plus anciens et plus grands plaisirs ! J’ai toujours aimé écrire et recevoir du courrier ! (encore maintenant, j’ai du mal avec l’idée de ne pas ouvrir la boîte aux lettres les jours fériés !). Il y avait quatre marches par escalier entre chaque étage, et mon enthousiasme était tel que je les sautais d’un seul coup pour descendre !
Maman, qui était de nature très indépendante (je ne tiens pas d’elle !), était folle de joie d’avoir enfin son logement à elle. Rapidement, elle s’était liée avec sa voisine du dessous qui était Polonaise. D’aussi loin que je me souvienne, "je vois" Jean-Paul, qui avait mon âge (et à qui j’ai appris à faire du patin à roulettes !), sa première sœur qui avait l’âge de la mienne et sa deuxième, l’âge de mon frère. Ensuite la maman de Jean-Paul était allée chercher au magasin des bébés la petite Nadège, ce qui avait beaucoup contrarié ma mère !
Ensuite vinrent mes troisièmes escaliers, les plus beaux de ma jeunesse : ceux de l’École Normale. Avec les filles de ma classe (qui étaient devenues mes amies, mes sœurs, ma famille !) je dévalais depuis le troisième étage où étaient situées nos piaules les longues marches cirées qui nous mèneraient aux salles de cours ou au réfectoire.
Je pourrais vous parler encore des escaliers de la Tour de Pise (294 marches), de la Tour Blanche de Thessaloniki ou bien des Météores ! des escaliers parisiens, pourquoi pas, qui, assez bizarrement ont été parmi les plus tardifs de ma déjà longue vie !
Mais bon, il faut en garder un peu pour une autre fois, non ? Si vous êtes sages, je vous raconterai l’histoire de mes premiers escaliers de femme enceinte !
avec mes deux Mamy
à gauche, la teinturière (paternelle)
à droite la garde-barrière (maternelle)