Avec le coeur, et avec l'esprit
C'était qui, Délia, la petite qui chantait tout le temps ?
Lossedat. Quelle chance merveilleuse d'avoir une maison, un lieu, qui raconte une histoire.
Pour moi, c'était celle de mes grands-parents.
Le logement était à l'étage, et dessous, c'était "la boutique", où ma grand-mère exerçait son métier de teinturière. J'y ai passé les premières années de ma vie, jusqu'à ce que la maison soit détruite parce qu'elle menaçait de s'écrouler. Il y avait eu un arrêté d'expulsion, mais mes grands-parents ne voulaient pas s'en aller. Quel âge pouvais-je avoir ? Huit ans ?
J'adorais cette maison, "la vieille maison" comme je l'appelais. Où que j'aille, la maison me parlait.
Là, la cuisine, qui faisait aussi office de "salle d'eau", on se lavait devant l'évier. À côté, le salon avec un divan où dormaient mes grands-parents tout le temps qu'ils ont hébergé mes parents avec nous deux petites. Quatre ans. Cela avait duré quatre ans avant que mes parents obtiennent un logement.
Dans le salon, le piano de mon père.
Le piano de mon père.
Ici, un endroit mystérieux, fermé à clé, que ma grand-mère appelait le grenier mais qui en fait servait d'atelier à son mari qui était ébéniste. Des doigts en or, disait maman, mon grand-père avait des doigts en or.
Par la suite, bien plus tard, j'ai su que dans ce grenier, mon père adolescent s'enfermait, loin du bruit, loin des cris, pour étudier. C'était son refuge.
Il avait là son porte-plume avec les petites bouteilles d'encre Waterman de différentes couleurs, ses stylos soigneusement alignés, son cahier sur lequel pendant la guerre il écrivait au crayon afin de pouvoir gommer et le ré utiliser encore une fois.
Enfin, il y avait la chambre. Sur le lit, immense comme la mer, un jeté de lit bois de rose, avec assise dessus, une magnifique poupée de porcelaine. C’était la chambre de mes grands-parents que les auteurs de mes jours occupaient.
La maison dont je parle n’existe plus, elle a été démolie. Mais elle est toujours vivante, aussi vivante qu'elle l'était du temps où, avant la guerre, mes grands-parents avaient acheté le fonds de commerce.
Quelle chance d'avoir connu une telle maison. De pouvoir ressentir encore, raconter, transmettre.
Communier.
Communier, c'est-à-dire parler avec le cœur, et avec l'esprit.