Ma forteresse de mots
Je me pose tellement de questions en ce moment.
Cela vient, je crois, de conversations que j’ai eues, d’abord avec lui, plus âgé que moi, qui vient de perdre sa mère dans sa centième année, et qui avait avant elle enterré son épouse, puis son propre frère. La solitude, me dit-il, la solitude. Si vous saviez.
Oui, je sais, n’ai-je pas répondu.
Ensuite elle, sensiblement de ma génération, en soins actuellement contre un cancer du sein, et pourtant guillerette et tellement, tellement vivante. Cette femme a enterré un de ses fils il y a deux ans. Je n’ai jamais osé lui poser de questions, et même hier - pourtant on a parlé pendant deux heures, enfin elle a parlé. Je voulais lui demander, je n’ai pas osé. Encore une fois je n’ai pas osé. Elle avait dû me prendre pour une malotrue quand l’année dernière elle m’avait dit au détour d’une phrase: Pour Julien, tu es au courant ?
Je m’en veux à chaque fois que je suis incapable de dire que je suis touchée. Écrire, oui ça je sais. Mais pas dire. C’est même là tout le problème, je manque la communion avec les autres, cette communion qui donne du sens à la relation. Je laisse les autres sur mes silences.
Et je passe ma vie dans ma forteresse de mots, ajoutant un texte à un autre, encore un, encore un. Comme Maman avec son tricot, une maille après l’autre, bien protégée.
Je me dis : Force-toi, va vers les autres, va.
Mais je n’y arrive pas.
Parfois, je fais un pas en avant. Suivis aussitôt de trois pas en arrière.
Je sais écouter, je sais écouter pendant des heures, je sais accueillir, serrer dans mes bras.
Mais aller vers les autres, je ne sais pas.
J’y arrive pas.
Et j’ai l’impression que c’est mal, que je suis une handicapée du contact, que les gens qui se lient avec tout le monde sont plus heureux.
Pourtant, ma fille est comme ça (sept cent trente amis sur FB qu’elle connaît tous en vrai). Et ma fille se sent seule à en pleurer.
Alors ?