De très loin
Exercice d'écriture proposé par Le Goût,
avec des phrases très gaies à insérer dans le texte.
Ce fut un chagrin désordonné : après la mort de ma mère, je traversai une période où je revécus toute mon enfance en rêve. Je passais toutes mes nuits en larmes, avec la trouille au ventre. Cette plaisanterie a duré environ deux ans.
J’ai toujours mis la douceur plus haut que tout. J'étais une petite fille douce et câline, et cette petite fille qui croit que la douceur c’est toute la vie, elle n’a jamais grandi. Chaque fois que j’ai aimé, au nom de cette è-('è_çè(hgjd de douceur j’imaginais toujours qu'en étant douce tout se passerait toujours bien. Tiens chéri, prends le pouvoir ! prends, CADEAU ! prends tout ! sers-toi !
J’ai adhéré aux suspicions, intrusions, manipulations, harcèlements, aux rondes des surveillances, interrogatoires, culpabilisations, justifications, justifier tout, même s’il n’y avait rien à justifier. Jusqu’à mes pensées, "À quoi tu penses ? À qui tu penses ?".
Je n’existais pas, la relation exclusive prenait toute la place, voilà, exactement comme quand j’étais petite. C’était confortable, au moins un terrain connu ! rentrer dans ce jeu me permettait de ne pas assumer ce que j’avais envie, ou peur, de vivre.
J'ai toujours dit que "l’homme" ne me parlait pas, ou qu’il me parlait "trop" (ce qui revient tout à fait au même) mais moi non plus je ne lui parlais pas. Parce que je me sentais petite, parce que j‘avais peur, peur qu’il crie, qu’il juge, qu’il interprète, qu’il se mette dans des colères terribles, les mêmes que celles de mon père.
"Tu n'as qu'un droit, celui de te taire".
Je n'ai jamais eu de communication avec un homme dans le cadre d'une relation dite amoureuse. La "communication" était à sens unique, le sien, c’est en tout cas ce que je me suis dit très longtemps, jusqu’à ce que je réalise qu’en réalité, il y avait son sens à lui, l’exclusif, et il y avait mon sens à moi, l’exclusée. Car j’aimais ça, être "à lui", complètement "à lui". Ça m’enveloppait, je retrouvais la relation à mon père qui contrôlait tout.
Un jour, l'espoir changea de camp, le combat changea d'âme.
C'était il y a longtemps, dix ans peut-être. J'ai poussé un cri, un long cri, un cri d’animal. Une terreur glaciale me prenait à la gorge. Maman ne pouvait pas être partie, elle ne pouvait pas m'avoir abandonnée.
Pas encore.
Pas à jamais.
Plus d'espoir.
Je me rappelle j’étais dans ma chambre et la fenêtre était ouverte. Je ne sais pas le temps qu'a duré ce cri, je sais seulement qu'il venait de très loin, de très profond. Rétrospectivement je me demande ce qu’ont bien pu penser les voisins, sûrement que j’avais mal, mais en même temps c’était ça, j’avais mal et aucun mot à ma disposition pour dire de quoi.
Aujourd’hui, on entend beaucoup parler de la seule fidélité qu’on se doit et qui est la fidélité à soi-même. C’est une belle phrase même si à ce moment-là, je ne voyais pas trop ce que ça voulait dire. Ça avait l’air sympa, la fidélité à soi, comme le centre d'un combat, point obscur où tressaille la mêlée, effroyable et vivante broussaille. Une mêlée qui, enfin, me donnait une réponse : si j'avais tout raté, ce n'était pas, comme les hommes me le suggéraient, parce que j'étais nulle et complètement idiote.
C'est seulement parce que je m'étais trompée de chemin.