Ma liberté
Il y avait eu la mort de ma mère. J'étais très attachée à ma mère. Attachée avec de l'amour, mais pas que. J'étais en attente, tout le temps, de quelque chose que je n'ai jamais reçu. Jusqu'à la fin, j'ai attendu.
Elle était dans son lit, son pauvre petit lit de soins de suite. Quel nom bizarre. Soins de suite. Ma sœur était sortie. Pour aller chercher des cafés au distributeur, je crois.
Je tenais les mains de ma mère. Elle avait de toutes petites mains, Maman, de toutes petites mains fines. Ma grande a les mêmes.
Elle avait de toutes petites mains que je tenais dans les miennes, la tête levée vers elle dans une prière muette. Parle-moi Maman, dis-moi quelque chose. Dis-moi que tu regrettes. Dis-moi que tu ne pouvais pas faire autrement.
Maman, dis-moi que tu m'aimes.
Elle ne parlait pas, Maman.
Elle est partie sans un mot, exactement comme elle avait vécu.
Puis il y a eu mon fils. La souffrance de mon fils.
Je me rappelle, j'étais à l'hôpital, mon petit-fils venait de se faire opérer quand les policiers ont appelé.
Chez moi toutes les portes s'en souviennent, les murs aussi.
Vous savez, c'est comme quand on crève de souffrance, c'est insupportable alors on remue dans tous les sens pour s'en débarrasser, on cogne, on se tape la tête contre les murs jusqu'à ce qu'on réalise que ça ne sert à rien, c'est dedans.
La souffrance, c'est dedans.
Le monde s'est arrêté.
C'est comme ça que je suis allée nager.
Un soir, d'abord.
Puis deux, puis trois.
Puis tout le temps, tous les jours, toute l'année.
Nager pour oublier tout ce que j'ai foiré.
Quitte à se noyer, hein !
Je nageais avec rage, je nageais avec foi. Je nageais dans les larmes les chagrins les contradictions la tristesse la souffrance et ma vie.
Je nageais les yeux fermés avec le secret espoir de n’avoir jamais à rentrer. Mais je savais que ce jour-là comme tous les autres, je rentrerais.
Nager était ma drogue.
Nager était ma vie, ma thérapie.
Nager était ma liberté.