Sans importance
Sur une proposition d'écriture du Goût
La clé pour entrer dans la chambre est petite, une petite clé sans consistance pour une porte sans importance, légère, facile à ouvrir, un hôtel comme un château de cartes, au premier séisme le décor s’effondre, sur la terre meuble un enchevêtrement de portes fissurées, de murs en miettes. Qu’est-ce que je crois ? Que tu vas accourir, toi qui toujours me tiens, me retiens de tant, de tout ?
Puis d’un seul coup l’émotion, le petit bruit que fait le texto, "T’es où ?", l’émotion qui me fait venir des larmes aux yeux, l’excitation de te voir, de te voir si tu veux, si tu peux, le peux-tu ? Peux-tu t’enfuir, comme ça ? Première fois, unique fois, quelque chose de fou, de non prémédité, de non organisé, seule fois ..
J’appuie sur la touche "rappel". Bien sûr ta voix est enrouée, sombre, grave oh si grave, un peu étonnée .. "T’es où ?"
Je ferme les yeux, me mords les lèvres, tu n’imagines pas, tu ne sauras jamais à quel point j’ai eu envie de toi à cet instant précis, l’effet que ta voix me fait, toujours, si tu avais été là à cet instant ça n’aurait pas été soutenable, on se serait jeté l’un sur l’autre comme on fait toujours, pour gagner du temps, ne pas en perdre, notre histoire c’est ça, le temps le temps qui toujours nous manque ..
"T’es où ?" répètes-tu.
- Je suis à N. A l’hôtel N. Tu connais ?
- J’arrive.
J’arrive. Spontanément. La douceur de l’éclat. Une insoutenable légèreté qui épouse enfin la mienne. J’arrive. Et tes mots se réfugient en moi, se marient à ma chair à mon sang, je les inhale tes mots, je les bois, et un frisson fulgurant me parcourt tout le long du corps. Plus rien ne peut m’arriver, rien, c’est fait, c’est derrière moi, et maintenant tu vas venir et j’ai mal au ventre, cette douleur que l’on ressent devant l’amour, devant l’attente et l’appréhension, cette petite peur délicieuse d’être engloutie, engloutie par toi. Je veux être engloutie, je veux être envahie. Je ne veux plus être respectable. Je veux qu’on s’écarte de moi qu’on me fuit, je veux être la reine des insensées, ta reine de l’amour qui dévore et t’obsède, celle à qui tu dis que ta résistance ne vaut pas cher avec ce désir qui me tient au cœur, au corps, partout ! Jamais je ne me guérirai de toi, j’ai la fièvre, j’ai ta fièvre ! Je veux te prendre dans ma main, dans ma bouche, jamais soumise mais curieuse, curieuse !! Je veux que mes lèvres chaudes dansent au creux de ta suavité, que ma bouche t’épelle en laissant des traces juteuses, parfumées, et que tu te couches sur moi, que tu te places entre mes cuisses, que tu élargisses mes espoirs, façonnes mon désir, et qu’avec ton doigt ancré dans mon petit coeur irisé d’or pâle, tu murmures contre mes cheveux "Je vais te faire tout ce que je veux". Je veux que tu me lises, lettre après lettre, que tu m’ouvres comme une pêche tiède, je veux me sentir me dissoudre, ne plus savoir où je vais, je veux assister impuissante à ma propre éclosion !
Que fais-tu ? Pourquoi es-tu si long à arriver ? Viens, je t‘en supplie ! Viens !