Je te serrais dans mes bras
Il y a eu celle, lointaine, devenue maman à dix-neuf ans.
Il y a eu "le dragon". Devant elle on filait doux, même si elle parlait ce chti que les Parisiens ne comprenaient pas.
Il y a eu celle à l’accent traînant qui n’aimait pas les Français.
Et puis cette autre, huit enfants, des nourrissons, frères et sœurs de lait, comme l’expression m’intriguait ! Qu’est-ce que c’est, Mamy, des frères et sœurs de lait ?
Il y a eu celle qui n’était qu’amour, disait maman, amour qu’elle pleurait tous les soirs, année après année. Elle l’a tellement pleuré qu’il n’est plus resté une goutte pour ses enfants.
Et puis il y a eu la mienne.
Maman.
Maman que j’ai tellement aimée, malgré tous les malgré.
Maman dont j’ai tant attendu, alors que ce tant, elle me l’avait donné.
Maman, tu as été une petite fille ballotée. Pendant la guerre, par-ci, par-là, loin de ta mère dans tous les cas.
Et plus de père, bien entendu. Notre arbre généalogique n’aime pas les papas.
Le jour de tes seize ans, tu t’es mise à travailler. Ton indépendance, tu l’as chèrement gagnée.
Puis tu as rencontré papa. Ta liberté, tu la lui as donnée.
Jamais je n’avais imaginé que j’étais devenue le boulet à tes pieds. Papa en voulait plein.
Comme tu as dû souffrir, maman ! Tais-toi, fais-ci, fais-ça. Avec papa, on ne mouftait pas.
Toi "le sirop de la rue" !
Avec ta première paye ? Une petite tente pour aller camper. Avec tes copains, en toute liberté – mais sans coucher, hein ! Papa était jaloux, vous vous étiez brouillés.
Tu étais une rebelle, Maman.
Maman, si tu savais.
Toutes ces choses que tu m’as dites, qui me reviennent maintenant.
Maman, si tu savais.
Comme je me sens proche de toi.
Tu te rappelles, Maman, je te serrais dans mes bras.
C’est ce qui me manque le plus, te serrer dans mes bras.
Je te ressemble tellement.
Maman.