La plus grande méditante de tous les temps
Chaque matin depuis l'annonce de la pandémie, je dépose le feuillet de mon éphéméride dans une boîte.
Au début, c’était pour voir le tas de jours que ça ferait à la fin.
À la fin de quoi ? Je ne sais pas.
Maintenant, je le fais machinalement.
On s’habitue à tout.
Mes habitudes ont changé. Il n’y a plus de natation. Ça a été le sevrage le plus douloureux. Être privée brutalement de ma dose d’endorphines régulières. Encore maintenant, mon corps a mal. L’eau avait ceci de magique qu’elle noyait les tensions, les fatigues musculaires, articulaires, et que dire du bien-être psychique ? Ce qui n’est pas le cas – en tout cas pas le mien – avec la marche, chose que je me suis décidée finalement à pratiquer après avoir boudé pendant plus d’un mois, ce qui ne m’a pas tellement réussi.
Donc, ça y est, j’ai intégré un quotidien sans natation. Sans ce Plaisir-là, mon premier plaisir, mon plus grand. Est-ce ma faute si je suis tombée dedans toute petite ? J’avais un an, c’était aux Sables d’Olonne. Je suis à oilp, Maman ne s’encombrait pas de pudeur superflue, elle était très pudique, mais aussi ouverte et libre. Maintenant que j’ai l’âge qu’elle a eu un jour, âge que, pauvre innocente, j’imaginais si loin de moi à l’époque, me viennent tant de pensées, tant de questions que j’aurais pu, dû lui poser. Et surtout une révision absolue de notre histoire, à présent que j’ai compris, compris et pardonné.
Donc, j’ai un an. Je suis assise dans l’océan Atlantique avec un sourire jusqu’aux oreilles.
Les photos de mes frère et sœur bébés à la mer montrent des grimaces et des pleurs.
Moi, non. Je ris. Je prends mon pied.
À cette période, on snobait les piscines. Il nous fallait des vagues, du roulis, la bonne odeur de l’iode et les lames qui nous balançaient sur la rive comme des pantins désarticulés, le maillot rempli de sable, qui parfois glissait sur nos chevilles. Il nous fallait le goût du sel sur la peau. Avec mes parents on se baignait n’importe où, océan, mer, lac, comme en Suisse ou en Autriche où l’eau était si profonde qu’elle en paraissait noire, fleuve et rivière les week-ends, Allier, Eure à une température légèrement inférieure à celle de l’Adriatique où nous avions l’habitude de nager l’été.
Allons bon, où suis-je encore partie ? Loin dans ma tête, très loin de ce que je voulais dire.
Donc, je ne nage plus.
Je marche.
Cette activité me surprend : j’y découvre du plaisir, énormément de plaisir.
Et puis je redécouvre ma ville. Elle a changé. Beaucoup de constructions. Mais aussi les champs, toujours les champs, à perte de vue.
Ma ville ouvre pour moi ses paupières vertes, secoue ses jupes de blé et de maïs, chante sa joie par mille papillons dans un ciel avec de jolis petits nuages qui ne sont là que pour rendre le bleu plus bleu.
Évidemment, il faut aimer les champs. C’est mon cas. Je m’arrête un long moment pour regarder leur chevelure bercée par le vent.
Une autre chose : je ne mange plus devant la télé. Non pas que j’aime spécialement la télé, mais elle parle. Un peu de compagnie ne nuit pas.
En ce moment, c’est une compagne que je n’ai pas envie d’entendre. Je finirai toujours par être informée de l’essentiel.
Et puis franchement, pourquoi s’asseoir devant la télé quand on a la chance d’avoir des bambous dehors ? C’était bien une idée d’avant.
Je mange donc au soleil. Je regarde les bambous se multiplier et envahir (je les coupe régulièrement, pas sûre que les voisins aimeraient se retrouver à Anduze).
At last but not least, je me suis réconciliée avec la patience, l’instant présent et toutes ces sortes de choses.
Peut-être suis-je en train de devenir la plus grande méditante de tous les temps ?