Un petit chant méticuleux
Par la fenêtre, le petit garçon regarde la brume donnant au paysage une impression d’immobilité. Autour de lui, tout est tombé en silence. Il n’y a que le bruit à peine perceptible des flocons qui font comme un petit chant méticuleux. L’enfant est dans la hâte, dans une telle hâte d’être au lendemain matin. Comme la nuit va être longue ! La nuit de Noël est toujours longue .. L’enfant gagne son lit pour s’ensevelir au creux de ses draps bleus.
Finalement, il s’endort. Ô, pas tout de suite. Il a fallu qu’il se convainc de cesser de penser au Père Noël et à ce qu’il va peut-être lui apporter. Oui, il s’est enfin assoupi. Il a dormi longtemps, si longtemps que lorsqu’il s’éveille, il croit qu’il est tard. Le Père Noël est-il passé ? Zut, voilà que cette question obsédante se re-pose. L’enfant éveillé dans son lit se demande quelle heure il peut bien être. Un silence total règne dans la maison.
Il repousse les couvertures et saute du lit avec l’idée d’aller regarder dans la cuisine quelle heure il est. Il sait la lire, tout au moins reconnaît-il les heures, les demis et les quarts.
Il prend la petite lampe que sa maman lui a offert pour ses cinq ans et qu’il peut allumer lorsqu’il a peur la nuit. Bien sûr, cela ne lui arrive plus maintenant – c’est un grand – mais en l’occurrence, la petite lampe va lui être bien utile pour aller lire l’heure sans prendre le risque de réveiller ses parents.
Tout doucement, le garçonnet gagne la cuisine. Comme la maison semble grande et silencieuse, la nuit ! Sur la pendule, les deux aiguilles se trouvent réunies sur le chiffre 12. Minuit ! Il est minuit !!!! C’est Noël !! Le père Noël est-il déjà passé ? Voilà ce que l’enfant meurt d’envie de savoir…
Le petit garçon se dit que peut-être, il pourrait aller jusqu’à la grange, où son papa a installé le sapin et la crèche, il pourrait, juste un tout petit peu, l’éclairer un court instant avec le rayon de sa lampe électrique pour savoir si le Père Noël est passé ? Il n’y a pas de mal à ça, tout de même ! S’il n’est pas passé, il rentrera vite se coucher et fermera ses yeux bien fort, et puis voilà.
Aussitôt dit, aussitôt fait. Le garçonnet entrouvre la porte d’entrée pour gagner l’endroit convoité et se met à y promener le pinceau lumineux de sa lampe. Le sapin se dresse, magnifique, tout scintillant d’ornements et de boules multicolores, et, oh ! Le Père Noël est passé ! Le tas de cadeaux est plus gros que jamais !
Les yeux écarquillés, l’enfant n’a pas le temps de s’émerveiller davantage, car soudain il voit un spectacle affreux. Groschat est là, tapi sous le sapin avec ses yeux qui reflètent la lumière de la lampe comme des billes de feu. Mais ce n’est pas lui que le chat regarde. Il ne quitte pas des yeux une toute petite souris, complètement paralysée par la peur, blottie à l’intérieur de la crèche. La petite bête s’y est réfugiée en espérant sans doute échapper au chat qui lui semble gros comme un tigre. Groschat s’avance, rampant sur le ventre, jusqu’à la porte de la crèche où il reste à se régaler d’avance du festin qu’il va faire.
L’enfant est bouleversé. La souris a aperçu le chat et maintenant elle tremble de peur. Réfugiée dans la crèche, elle tente de se cacher derrière la minuscule mangeoire garnie de paille où repose un tout petit Jésus. Au bout d’un moment, elle se dresse sur ses pattes de derrière et risque un œil par-dessus la mangeoire. Oh ! Quelle horreur ! Elle est plus en danger que jamais ! A l’entrée de la crèche, bloquant l’unique issue, le chat se tient ramassé, prêt à bondir.
Groschat la regarde fixement. Lui aussi se dit que la souris ne lui échappera pas. Il s’amusera d’elle un moment, puis il n’en fera qu’une bouchée. Une mince bouchée, mais succulente .. Groschat se met à ronronner …
Dans la crèche, la petite souris entend ce ronron affolant : un vrai grondement de tonnerre. Elle a envie de crier. Mais qui va l’entendre ? D’ailleurs, qui viendra en aide à une souris ?
À ce moment précis, la lampe électrique du garçon éclaire la crèche.
"Groschat!" appelle l’enfant à mi-voix (il ne faut pas faire de bruit, au cas où le Père Noël serait encore dans les parages). Groschat ne tourne même pas la tête, car, le regard fixé sur la petite souris, il est en train de lever la patte, prêt à s’en emparer. Le petit garçon alors, sans lâcher sa lampe, s’approche pour saisir la bestiole. La souris ne se doute pas qu’elle est sauvée. Pour elle, au creux de cette main tiède elle se croit prise dans un nouveau piège. Affolée de se trouver dans cet endroit inconnu, elle mord le pouce qui ferme cette prison. Bien que très pointues, ses petites dents ne peuvent faire de mal à l’enfant qui, surpris, ouvre la main, laissant tomber la souris qui court se réfugier à toute vitesse entre les pattes de l’âne, avant de gagner un minuscule interstice dans le mur.
Le chat, furieux d’être dépossédé de sa friandise, se rue à sa suite. L’enfant suit le chat. Là, il y a un tout petit trou devant lequel le chat reste planté, impuissant à y entrer. Le petit garçon se penche et dirige vers l’intérieur du trou le rayon de sa lampe électrique. Alors il comprend pourquoi la souris s’est hâtée d’y retourner : dans un nid douillet et cotonneux se pelotonnent cinq souriceaux tout roses, à peine plus gros que le bout du pouce du garçonnet. La mère est déjà installée pour les nourrir. Sous le rayon lumineux, elle ne bronche même pas, sachant le trou trop petit pour laisser passer l’enfant et même le chat.
Alors le petit garçon se baisse pour prendre sous son bras Groschat miaulant de dépit, il repousse une bottée de paille contre le mur avec son pied et retourne se coucher avec le chat contre lui.
Le noir retombe sur le paisible tableau de la crèche, avec sa poignée d’herbe séchée empilée derrière la mangeoire où dort un minuscule enfant Jésus qui grâce à la curiosité d’un petit garçon n’aura pas, le soir de Noël, été entaché par le sang d’une petite souris.