Ne jamais pleurer
Je n'ai pas de Valentin, mais j'ai eu une Valentine. Il s'agit de mon arrière-grand-mère.
Pas la dame aux cheveux blancs à qui nous rendions visite en Suisse une fois l’an, non. Je parle de celle, lointaine, d’une photo perdue : elle était brune, elle était belle, elle sentait bon le sable chaud des rives de l’Oise. Féministe avant l'heure, elle ne s'est jamais laissé marcher sur les pieds. Parfois, je me demande ce qu'aurait été ma vie, si, à la place de sa taille fine, c'est son caractère qu'elle m'avait légué.
Ma Valentine était d'Auvers, comme son grand-père, propriétaire fermier au Valhermeil, un quartier vallonné peint par Cézanne quand elle avait deux ans.
Avec ses parents, elle a vécu aux Vessenots, un autre quartier d'Auvers immortalisé par Van Gogh quand elle en avait onze. Le peintre y habitait aussi.
Pour ses vingt ans, ma Valentine est tombée amoureuse d'un étranger, blond comme les blés, les yeux très clairs.
Ils se sont aimés.
Neuf mois plus tard, ma grand-mère montrait le bout de son nez.
Puis ils ont quitté Auvers pour aller au-devant de leur destinée ...
Ces pas dans lesquels Valentine a marché, et avec elle son frère, ses pères, tous ses amis, ces endroits qu’ils ont fréquentés, je les vois, voyez-vous. Je les vois, éblouie : ici Van Gogh, là, Pissaro ou encore Cézanne.
Pour quelques instants, je suis dans les yeux de Valentine, des yeux fabuleusement beaux, noirs et brillants.
Et toujours, son petit rire lointain.
Car Valentine, malgré tous les malgré, avait choisi de ne jamais pleurer.