Un seul tout de diverses parties
Dire que j’ai été surprise qu’aux aurores hier quelqu’un frappa à la porte serait exagéré. Ma sœur Brie m’avait prévenue qu’elle m’avait expédié quelque chose, ce qui fait que je n’ai eu aucun mal à briller par une sorte de préscience en annonçant à l’entourage, au nombre de deux de mes petits-fils, qu’au bout des doigts qui toctocquaient à la porte se tenait le facteur. Ceci dit, le facteur, on l’a à peine vu, dissimulé qu’il était derrière le volumineux paquet scotché par ma sœur comme si sa vie en dépendait. Quant au contenu du colis, pas de surprise : un des derniers envois étant un bureau/tabouret pour mon petit-fils number two, quoi de plus attendu que le dernier en réclamât autant ? Avec une difficulté supplémentaire, tant qu'à faire (un casier sous le bureau) !! Mais vous savez maintenant qu’à ma sœur (secrétaire de direction, à la base), rien d'impossible. Or donc, dans le colis, un joli tabouret couleur poussin, humant bon comme le précédent la menthe du jardin sororal.
Mais pas que. La vie réserve tant de mystère. Il y avait une surprise, qui surgit devant mes yeux ébaubis et mon âme tout autant : une robe ! Que, comme vous supputez immédiatement, je me suis précipitée pour l’essayer. Enfin, essayer, c’est vite dit. Je suis restée coincée au milieu, la tête aussi rouge que la robe.
Alors mes amis, je vous le demande : à une pauvre femme au bout du rouleau, fragilisée par la désertion absolue de son humour suite à des trucs dans sa vie (vous savez, les trucs qui vous rendent plus forts quand ils ne vous tuent pas), auriez-vous l’idée de lui balancer une vérité sous forme de robe qui lui immole l’ego ? N’eût-on pas dû lui laisser ses illusions de nana super marrante bien qu’elle ne le sachât pas quand elle l’était encore ? N’eût-ce pas été là le vrai amour de la prochaine ? La vraie compassion qu’on doit avoir pour l’autre (surtout quand c'est sa sœur ?). C’est ça la tige en empathie qui penche vers celle qu’on chérit ! Et fi de la dictature du réel quand votre sœur est à terre !
Mais fi de ce fait. Ma soeur ne cherchait pas à mal. Comme tout le monde elle me voit encore comme celle que j’ai été longtemps, si fine, si drôle, si douée en informatique que tout le monde faisait des détours par Paris pour me voir.
C’est pourquoi j’ai quand même cherché une idée pour la remercier. Parce que je ne sais vous, mais moi, le geste charitable d’un cœur tendu vers un autre comme le bambou qui vient de naître, il faut que ce soit réciproque sinon on part sur du bancal.
Et le bancal, ça nuit.
Voire, ça fuit.
Or donc, virevoltant de-ci delà sur les blogs de bricolage, j’ai cueilli un truc dont elle se sert sans même savoir ce que c’est, si ça tombe : le tenon-mortaise.
Ah, le tenon-mortaise !!! C’est autre chose que le chevron de douglas, je vous prie de croire ! Déjà, vous sentez comme il fond en bouche ? Comme il est chaud, comme il est doux, comme il est fruité ?
Tenon et mortaise sont comme .. comment pourrions-nous dire ? Comme un homme et une femme au commencement du monde. Le tenon, ce vif mâle à la partie saillante prête à bondir, est prévu pour se lover dans la mortaise rouge de confusion. Seulement voilà. Vous voulez que tout ça tienne et que ça résiste au temps. Vous avez bien raison. C’est pour ça qu’il faut que votre tenon corresponde aux mesures de la dame. Heu, de la mortaise, veux-je dire. Entre parenthèses, il vaut mieux un tenon trop gros qu’un trop étroit. Avec l’étroit vous ne pouvez rien faire. S’il est étroit, il est étroit. Un trop gros par contre, vous pouvez toujours le limer jusqu’à ce que ça rentre ! Il est important, que dis-je important, il est ESSENTIEL que la mesure de votre mortaise soit en parfaite adéquation avec le tenon. Le seul truc, c’est qu’il ne faut pas être pressé. Si vous avez envie que ce soit fini avant même d'avoir commencé, ce n'est même pas la peine ! Il faut y aller par petites touches, tout en douceur, glisser votre tenon dans la mortaise à petits coups discrets, histoire qu'elle se creuse sans s'en rendre compte. Eh oui, il faut de la patience pour que le résultat soit solide! Tenon et mortaise doivent s’emboîter sans forcer. Si la mortaise résiste, c’est foutu !!
Pour l'ouvrir avec délicatesse, une seule solution: limez votre tenon, cent fois sur le métier remettez votre ouvrage, car voyez-vous, le tenon-mortaise, c'est, comme disait Nico,
Se hâter lentement, et, sans perdre courage,
Polissez-le sans cesse et le repolissez :
Il faut que chaque chose y soit mise en son lieu ;
Que le début, la fin répondent au milieu ;
Que d'un art délicat les pièces assorties
N'y forment qu'un seul tout de diverses parties.
19 octobre 2012