Je m'appelle Henry
Mon texte est long... un peu hors-sujet ... Comme d'habitude, quoi !
J'ai voulu le raccourcir mais du coup, il me semblait bancal, alors je vous le livre tel quel.
Je vous souhaite une bonne lecture quand même (j'espère !)
Je m’appelle Henry; je suis né le 31 octobre 1861 à Champigny-sur-Veude, un tout petit village de Touraine dans le département que les Révolutionnaires ont appelé Indre-et-Loire. Mon village, à la limite du Poitou, est blotti dans une vallée fertile entre deux petites rivières, la Veude et le Mable.
J’ai eu de nombreux frères et sœurs, tous morts bébés ou très jeunes. Cela était fréquent en ce temps-là et la mort faisait partie de la vie. Pour autant, celle de ma grande sœur Jenny a été terrible, elle n’avait que 18 ans alors que j'en avais 10 ; j’ai été bouleversé par cette disparition. Heureusement, Maman n’a pas assisté à ce drame, emportée en couches l’année d’avant, à l’âge de 43 ans. Mon père en revanche, en a été si choqué qu’il lui est devenu impossible d’écrire tellement ses bras tremblaient et ne se sont plus jamais arrêté de trembler ensuite. Sa femme, sa fille, cela faisait beaucoup et c’est comme ça qu’à 11 ans, je me suis retrouvé seul avec mon père, rue d’Enfer qui pour le coup portait bien son nom, même si la rue en question se trouve à quelques pas de la Sainte Chapelle de Champigny.
Louis, mon père, était natif de Marigny-Marmande, un village encore plus petit que Champigny, où il habitait dans la propriété familiale avec son frère aîné Vincent et leur père prénommé de même. Mon grand-père Vincent en effet, s’était enrichi à cultiver la terre. C’est une des raisons pour laquelle, après la mort de ma grand-mère Marie-Anne Marnay, mon grand-père avait fait acte de bienveillance en épousant Anne, une fille sans père, simple gagiste, ce qui eût pour conséquence de la tirer de la rue.
C’est à Marigny que sont nés mes premiers frères, tous morts bébés.
Ensuite, quand mon grand-père Vincent a tiré sa révérence en 1855, son aîné, mon oncle Vincent, a repris la propriété de famille sise à Marigny et c’est comme ça que mon père s’est installé à Champigny avec ma mère, Marie Babin, qui elle, était du Poirier, un lieu-dit de la commune de Braslou. Il exerçait la profession de garde particulier.
Oui, à 11 ans je me retrouvais seul avec mon père et quand il est allé à son tour, cinq ans plus tard, rejoindre ma mère pour le repos éternel, je n’avais que 16 ans et plus rien ne me retenait à Champigny. Alors j’ai commencé à nourrir le projet de m’ouvrir à d’autres horizons.
Avant cela, j’ai dû, pour mes 20 ans révolus, me rendre à la mairie de Tours consulter les tableaux de recensement. En effet, nous étions en janvier 1882 et je devais faire mon service militaire, comme tous les jeunes gens de 20 à 25 ans. Heureusement pour moi, le tirage au sort me fut favorable et je pus ne partir que pendant un an au lieu des cinq années que faisaient les moins chanceux d’entre nous.
Ce mois-là, avec les dix-huit garçons de mon village nés comme moi en 1861, j’ai fait le tour, dix-huit jours durant, de toutes les fermes pour quêter les fonds nécessaires au grand banquet qui serait célébré le dix-neuvième jour. Pendant toute cette période, les conscrits veillent chaque soir chez l'un d'eux, à tour de rôle ; on boit énormément de marc, qui ne manque pas, tous les fermiers de la région étant bouilleurs de cru.
Après avoir rempli mes obligations militaires, je suis parti à Paris où je suis devenu négociant. Rien ne me destinait à exercer ce métier : mon grand-père et son père avant lui étant de riches cultivateurs, propriétaires de leurs terres, j’aurais pu reprendre la suite. Mais l’aventure me tentait, et l’univers convivial et sympathique des relations commerciales m’a tout de suite attiré. J’aime le rapport aux autres, même s’il faut savoir faire preuve d’écoute et avoir de bonnes capacités physiques car le travail est dur. C’est un métier riche et passionnant.
À cette époque-là, j’habitais 10 rue de l’Entrepôt dans le 10e arrondissement de Paris.
C’est dans le cadre de mes déplacements professionnels que je me suis rendu en Belgique, à Bruxelles exactement, et que j’y ai fait la connaissance de celle qui allait devenir ma femme.
On peut dire sans trop se tromper que le coup de foudre fut immédiat. J’avais 24 ans, elle 25, et le désir de fonder une famille.
Je l’ai croisée pour la première fois un matin, alors que je flânais dans le marché aux puces du quartier des Marollen, à la quête de quelques affaires intéressantes. Quand nos regards se sont croisés, j’ai su tout de suite que je ne la laissais pas non plus indifférente, bien que la convenance l’obligeât à détourner les yeux quand les miens se posaient sur elle. Je revins chaque matin sur ce marché aux puces dans l’espoir de la revoir, et je la revis en effet, d’autant plus facilement qu’elle habitait le quartier, la Wolstraat - la rue aux Laines - qui doit son nom au fait qu’au Moyen Âge, cette rue était bordée de terrains servant au séchage de la laine.
Nous nous sommes mariés le 17 octobre 1885 à Bruxelles, la ville de résidence de ma future épouse, comme le veut la tradition. Un contrat de mariage a été fait chez Maître Van den Eynde à Bruxelles la veille du mariage. Qu’on ne voie là que ce qui se pratique ordinairement quand le marié a des biens, ce qui était mon cas, étant l’unique héritier de mon père.
Peu après le mariage, nous sommes retournés à Paris. Bien entendu nous ne pouvions pas rester dans mon logement de garçon du 10e arrondissement, et nous nous sommes installés 165 rue St Maur dans le 11e où une petite épicerie était à reprendre avec le logement au-dessus. L’occasion était trop belle d’arrêter les déplacements et de pouvoir rester près de ma femme.
Notre première fille est donc née à Paris, le 30 août 1886. Je ne cache pas que j’attendais un fils auquel je voulais donner mon prénom, comme il sied à la coutume. C’est pourquoi ma première née s’appelle Henriette.
Le 31 mars 1889, nous nous rendîmes à l’inauguration de la tour la plus haute du monde : 318 mètres, construite grâce aux plans audacieux de Monsieur Gustave Eiffel. Il est prévu que cette tour, inaugurée en avant-première de l’Exposition universelle de Paris commémorant le centenaire de la Révolution française, soit détruite ensuite, ce que je trouve fort regrettable. J’espère qu’un événement viendra changer le cours des choses.
Comment décrire l’émerveillement qui nous assaille, malgré la presse de milliers de visiteurs escaladant, comme nous, le monument par l’escalier - 1710 marches jusqu’au sommet, les ascenseurs n’étant pas encore en service -, lorsque la capitale s’étale devant nous, où que se posent nos yeux ?
Dieu, que c’est beau!
Nous quittons néanmoins Paris en 1891. En effet, le réseau récent des Chemins de Fer commence à faire concurrence aux diligences ; après avoir revendu l’épicerie de la rue St Maur, une embauche aux Chemins de Fer du Nord me paraît une belle opportunité.
C’est ainsi qu’avec notre fille Henriette, 5 ans, nous emménageons dans un village carnellois au cadre de verdure intime et secret, situé à la confluence des trois forêts de Carnelle, de l’Isle Adam et de Montmorency, dans une belle demeure qu’on appelle le château, au n°2 [ce château est devenu un hôtel].
Le château appartient à la comtesse de Mérode, duchesse d’Aremberg, elle-même fille de la Haute-Noblesse belge. Comment ne pas voir comme un singulier clin d’œil du hasard, le fait que mon épouse ait grandi à deux pas de l’hôtel Mérode-Westerloo, rue aux Laines à Bruxelles, et que nous louions maintenant une demeure appartenant à la femme de Charles de Mérode ?
C’est là que naît le 29 novembre 1898 notre deuxième fille, Marguerite ...
Henry ne le saura jamais, mais Marguerite deviendra l'arrière-grand-mère paternelle de mes filles