Un bleu insoutenable
Hier je voulais aller de l'autre côté du pont. C'était ma troisième tentative. La seconde, j'étais toujours en pataugas, et malgré le ciel bleu de ce jour-là les choses s'étaient aggravées niveau flaques. Je n'avais donc pas pu traverser.
Hier, j'ai mis des bottes qui ne prennent pas l'eau.
Je pars et je m'aperçois qu'il pleut. Ça ne se voyait pas de l'intérieur, c'était une petite pluie fine. Elle faisait un joli bruit sur ma capuche, le même que sous une tente, c'était agréable et reposant.
J'ai testé la veste imperméable. Elle l'est. Je suis contente !
Par contre, les chemins sont gluants de bouillasse et je suis obligée de faire attention en marchant (sauf si mon seul objectif de la journée est de me vautrer dedans).
Une fois arrivée sous le pont, je constate que les mares de boue se sont encore étendues. Flûte ! Mais aussi, pourquoi je m'obstine à vouloir aller dans une zone inondable quand il pleut ? D'ailleurs, qui se balade dans une zone inondable quand il pleut ? (à part une folle, je veux dire ?)
J'essaie d'atteindre l'autre côté (je suis têtue !), pierre après pierre, celles déposées là en équilibre par quelqu'un d'aussi fou que moi (je ne suis donc pas seule ?), mais ça tangue, mazette ! Mes bottes, mes jolies bottes toute bien cirées s'enfoncent dans la boue avec un souiiiiiiiiiiiich de contentement, je les en arrache, elles me regardent en me lançant des éclairs furieux !
Finalement, je fais demi-tour. Encore une fois. De toutes façons, de l'autre côté non plus je ne croise jamais personne. Enfin si. Le coupeur de luzerne (je le reconnais à son tracteur).
L'espace d'un instant, je me vois intégralement recouverte d'une purée marronnasse, moi qui ai réussi jusque là – un exploit quand on me connait – à ne pas me vautrer dans les chemins, aussi je monte à toute allure sur le rebord du champ pour éviter de me prendre une volée de boue au moment où il passe à ma hauteur. Pourtant, le beau paysan (oui, j'ai décrété qu'il est beau, qu'il est jeune, qu'il a les yeux bleus, bleus comme ces fleurs bleues quand elles se mettent à être vraiment bleues, et ce, bien que 1) soit je le vois en plein soleil et de dos, 2) soit je le vois en pleine pluie et sans essuie-glace), le beau paysan, disais-je, roule lentement, exprès pour moi, pour ne pas m'asperger de sa boue boueuse, il roule tout doucement, me jetant un regard lent et doux avec ses yeux d'un bleu insoutenable, et moi je piétine dans la boue de son champ, la tête dans les étoiles et la pluie sur le reste qui chante sa petite chanson, chabadabadabada, chabadabadabada ♪♫♪♫..