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Un peu de douceur ..
25 février 2019

Trois soeurs

En écho à la consigne de Lakevio..

 

Mamy et ses soeurs

Trois sœurs, elles étaient trois sœurs.

La petite, n’est-elle pas adorable, avec sa frimousse ronde ? C’est la plus jeune, elle s’appelle Geneviève. L’avenir dira que c’est aussi la plus gentille, la plus douce, la plus maternelle. Toujours le cœur plein d’amour, tant d’amour à donner, malgré tous les malgré…

Elle est bien petite, Geneviève, quand sa famille déménage dans le Nord où on vient de faire à son père une offre de travail. On ne fait pas le difficile quand c’est la guerre (la Première), qu’on se fait licencier parce qu’on est étranger (il est Belge), même si pour cela il faut tout quitter, la région où l’on a toujours vécu, les connaissances les amis, pour aller s’installer là-bas à Avion, dans cette région qu’on ne connaît pas et qui paraît hostile.

Sur les terrils, les premiers terrains de jeu de la petite, jeu qui consiste à ramasser, dès six heures du matin, les morceaux de charbon rejetés de la mine et qui serviront à chauffer la maison. Les enfants ont la figure et le tour des yeux tout noirs, car le charbon imprègne les pores et s’incruste partout ! Mais ils sont fiers de ce charbon récupéré que leurs parents n’auront pas à acheter. Pour la petite Geneviève, le charbon c’est magnifique ! Il y en a de toutes sortes : du gras, du maigre, des gros (qu’on appelle des gaillettes), des galets avec des feuilles incrustées ! Elle pourrait presque s’en faire un collier!

Une enfance heureuse donc, pour cette petite fille qui s’émerveille de tout ce qu’elle découvre autour d’elle.

Dix années s’écoulent ainsi jusqu’à ce que, le contrat de travail paternel achevé, la famille réintègre la maison où Geneviève est née.

Elle a dix-huit ans maintenant, c’est l’âge où l’on sort au bal, où l’on se marie. Geneviève veut des enfants, elle adore les enfants. Lui, il a le regard dur, l’arête du nez tranchante, comme les coups et les insultes qu’il distribue à sa femme quand il a trop bu. Et il boit trop, souvent. Mais elle ne dit rien, elle se tait et c’est bien. C’est la faute à pas de chance.

Un fils leur vient, puis une petite fille qui meurt prématurément. Geneviève est-elle punie par le bon Dieu, par la Vierge Marie qu'elle vénère plus que tout? Pourtant, elle est docile, bonne mère bonne épouse, malgré les coups qui se multiplient. Il doit être si malheureux pour se comporter ainsi.

Et elle se tait, Geneviève, elle courbe le dos sans se départir de son sourire aimant.

Quand naît leur troisième enfant, terrorisée à l’idée que ce dernier puisse lui être enlevé à son tour, Geneviève décide d’emmener ses petits chaque été aux Sables d’Olonne, afin qu’ils soient fortifiés par le bon air de la mer.

Puis vient le temps des petits-enfants, le mari malheureux s’éteint. Geneviève se redresse ostensiblement. Elle peut enfin distribuer son amour, sans relâche, sans barrière, et c’est ce qu’elle fait, Geneviève, parce qu’elle est du miel. Elle n’accable pas, elle ne juge pas.

Elle aime, c’est tout.

 

 les 3 soeurs

L’une est aussi brune que l’autre est blonde, aussi querelleuse que l’autre est tendre. Elle mène son monde à la baguette, Madeleine, elle pleure comme une madeleine, Madeleine, pour obtenir ce qu’elle veut. Et elle l’obtient toujours, au détriment de sa jumelle, trop bonne trop.. bonne. Maman fait des préférences, enfin non ce ne sont pas des préférences, c’est comme ça voilà : la blonde Yvette est docile, donc c'est elle qui reste à la maison pour aider à s’occuper des nourrissons, une tripotée de nourrissons comme autant de frères et de sœurs de lait, pendant que Madeleine-la-tempête parade à l’école. La blonde Yvette, elle aurait bien voulu aller aussi à l’école, malgré les trente-sept élèves de la classe, elle aurait tellement, tellement voulu apprendre à lire et à écrire correctement, que bien plus tard, quand elle serait grand-mère, elle en parlerait encore avec des gros soupirs de regrets dans la voix. Mais voilà, il y a Mado. Mado la première. Première née, première choisie, toujours première.

Quinze ans. Elles ont quinze ans les jumelles. Elles flirtent, même si on n'appelle pas encore ça flirter. Et quand elles regagneront avec leur famille la région parisienne, il y aura une personne de plus : le petit d’Yvette.

Madeleine, elle, c’est de retour à Paris qu’elle le rencontre, son héros. Il est grand, il est musclé, il tonne fort et large. Quel bel homme ! Elle en est folle. Il ne mesure pas le pouvoir qu’il a sur elle, du moins le croit-elle. On est tellement bête quand on est amoureuse. Il l’emporte comme un torrent et la laisse pantoise sur la rive. À peine a-t-elle retrouvé le souffle qu’il la pousse plus loin encore, toujours plus loin et toujours plus haut. Elle l’admire, elle l’adore. Elle brûle de toute son âme et de tout son corps pour lui. Lui, un descendant de Maréchal des guerres napoléoniennes. Il doit lui en rester quelque chose, il règne sur elle comme un empereur. Là, ce n’est plus elle qui mène à la baguette, c’est lui. Mais elle aime ça Madeleine. C’est ça, un homme.

Madeleine lui donne tout. Ils sont affamés l’un de l’autre, féroce de leur rage de se coller l’un à l’autre. Ils ont le diable au corps et à l’âme, et des deux, c’est elle la plus enragée. Hélas, l’enfant ne vient pas, ce fils qu’elle veut tant lui donner. Et Yvette, elle qui ne veut plus d'enfants, n’arrête pas d’être enceinte. Cela ravive encore et toujours leur rivalité primordiale, malgré les hurlements de la blondinette qu’on entend de loin à chaque visite chez la faiseuse d’ange. Elle s’en fiche, Mado, des cris de sa sœur. Elle veut un enfant elle aussi, c’est tout.

Et elle l’aura, vingt ans après le premier d’Yvette. Deux hommes dans son cœur, deux hommes pour elle seule. Enfin.

La voilà à l’hiver de sa vie, avec pour toute compagnie une longue maladie, comme on dit pudiquement. Elle repense à toutes les fois où devant son mari elle s'est tue, paniquée de lui déplaire et qu'il tonne, encore et encore. Elle repense à toutes les fois où elle s'est enfermée, en adoration devant lui, bien à lui, bien terrée. Il l’a emportée comme un torrent et la laisse pantoise sur la rive. C'est donc là, en elle, que tous ses maux se sont logés ? 

La femme d'un empereur ne se meurt pas, il faut la cacher. Il interdit à ses soeurs de la visiter.

Elle qui avait si peur de la mort, elle s’en va seule, terrorisée.

 

.

Mamy Yvette 17 ans

Ma grand-mère n’a pas toujours été une grand-mère. À quinze ans, c’était une pure blonde à la peau diaphane avec de grands yeux azur. Des yeux de myope. Ce sont les plus doux, m’a-t-on souvent dit. Surtout que ma Mamy était bien trop coquette pour accepter de poser sur son adorable petit nez les affreuses binocles de l’époque!

Quinze ans, donc. Et cet air que certains ados d’aujourd’hui arborent à grand renfort d’extasy, ma Mamy l’avait naturellement: regard rêveur, transparent, pailleté d’étoiles. Seulement voilà, ce beau petit bout de nana habitait la région parisienne, c’est-à-dire à plus de deux-cent kilomètres de son prince charmant.

Par chance, le destin s’en est mêlé. Des volontaires pour un atelier de cheminots, sis dans le Pas-de-Calais? Allez zou! Toute la famille, les parents, les sept enfants, les deux chiens, la tatie - veuve d’un Comte de Brunswick, s’il vous plaît - vient s’installer à deux pas du destin et de ma conception à venir.

Prenez maintenant le Don Juan du coin. Dix-sept ans, le cheveu noir, hérité d’une lointaine, mais noble, cousine basque, l’œil de braise, le menton fier, un je ne sais quoi d’altier dans le port de tête, dans l’allure. Le genre de celui qui a gagné le gros lot à la loterie génétique. Tous les attributs que l’on croyait morts avec Arthur et les Chevaliers de la Table Ronde, mon futur grand-père les a. Que dire de plus? Qu’il est loyal, franc, courageux, qu'en toutes circonstances il va droit au but. Un homme qui ne s’embarrasse pas de fioritures, et qui même s’amuse à surprendre, voire à choquer : vous aurez une petite idée de l’homme que fut mon grand-père. Impulsif, impatient, ses colères sont pourtant vite oubliées. Oui, mon grand-père est tout, sauf ennuyeux. Certes, ma grand-mère en fera les frais, car en amour, il aime pour la vie....seulement voilà, il aime souvent!

Voyons la suite.

Très simplement, au cours d’un bal. Bien sûr, comme ma Mamy n’a pas encore 15 ans, son grand frère la chaperonne.. (si par extraordinaire, un jeune me lisait, je précise que ce verbe désuet n’a que peu de rapport avec le Chaperon Rouge). Il faut croire que des obligations l’ont appelé ailleurs, le grand frère, parce qu’aussi sec, mes futurs grands-parents se connaissent (au sens biblique, veux-je dire). Et se mettent à ne plus voyager que sur une mer de phéromones. C’est ma grand-mère, surtout, qui n’arrive plus à atterrir. Genre de petite nana à avoir avalé le résumé de Roméo et Juliette. Le bout de ses doigts, de son cœur, de son esprit, la moelle de ses os semblent complètement imprégnés de lui. Il est sa première et sa dernière pensée de la journée. Tu me manques, lui dit-elle avec des cœurs dans les yeux. Je meurs d’impatience de te voir. Quand est-ce qu’on se voit? Bientôt? N’importe quand! Est-ce que je t’ai déjà dit que tu me manques?

Et le grand frère, me direz-vous? Eh bien le grand frère, voyez-vous, s’est lui aussi trouvé une princesse. Alors pour la surveillance, il y a eu comme qui dirait du laisser-aller..

Si bien que ce qui devait arriver arriva, sous forme de menstruatum interruptus merdouilloum ...

Du jour au lendemain, les valises sous les yeux de ma Mamy ressemblent aux autoroutes qui ne sont pas encore construites dans le coin.

La mère de ma grand-mère est du genre pragmatique. Elle attrape sa blondinette par la main et va aussi sec exprimer ses revendications matrimoniales aux pieds d’Olympe, ma future arrière-grand-mère (j’avoue, rien que son nom fait frémir !!).

Olympe éclate de rire, dévoilant une quantité phénoménale de dents. Comme elle parlait chtimi, la traduction approximative donne ceci : "Min garchon est trop jeune pour se marier, il doit vivre sô vie! J’ai lôché min coq, fallô rintrer vos poules!"

Et elle conclut l’entretien par un sourire rectangulaire.

Ma petite Mamy s’effondre dans un torrent de larmes. Elles lui sortent par les yeux, par le nez, par les oreilles (si,si !). En quelques jours, sa petite vie proprette est transformée en un diagramme de Venn, avec des cercles et des flèches dans tous les sens.

Mais bon hein. Des milliers de femmes accouchent tous les jours, ça ne doit pas être si terrible que ça ! Une de ces choses dont on se fait tout un monde, mais dont on finit bien par en voir le bout (un peu comme la grosse lessive au lavoir dans l’eau glacée !).

Bien, bien. Ma Mamy s’y est donc collée. Surtout qu’au terme des neuf mois réglementaires (enfin, huit pour ce qui concerne son premier-né), il a bien fallu qu’elle s’y colle.

C’est comme ça que mon papa est venu au monde, pas franchement, franchement désiré…

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Commentaires
D
C'est superbement raconter. J'aime comme tu fais revivre tes ancêtres; Les détails sur leur vie, leurs souffrances, leurs bonheurs, la vie qui se déroule pour chacun avec son chapelet d'écueils et ses difficultés. Tu es une bonne biographe. Tes petits enfants ont bien de la chance d'avoir une mamie comme toi pour répondre à leurs questions. Deux ans, tu dis, ce n'est pas rien, mais tu as du y consacrer beaucoup d'énergie. J'admire !
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L
Le tableau aurait pu être trois soeurs... J'aime les tiennes. Enfin, je veux dire... tu as bien compris, la plongée dans le récit familial. Je me régale à cette vie d'autrefois, à ces mots mis sur les souvenirs et les photographies. Merci. merci beaucoup pour ce très beau récit.
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G
J'ai lu deux fois ton récit bouleversant ! Tu n'as pas traité le sujet de Lakévio, mais l'histoire d'Yvette est tellement plus touchante !<br /> <br /> Bravo à toi de nous avoir confié cette histoire de famille...
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A
Beaucoup d'humanité, de chaleur dans ce texte en l'honneur de ta grand-mère !<br /> <br /> Les liens familiaux sont très enrichissants, lorsqu'ils sont, comme ici, le reflet de tempéraments généreux et passionnés !
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B
Quelle belle saga familiale, avec des hauts et des bas, dans un monde où les tabous collent aux jambes, aux corps, aux cerveaux, mais parfois la rage de vivre et d'aimer surpasse les protocoles, et qu'on décide alors de faire sauter les verrous et de vivre sa vie bon an mal an.<br /> <br /> Ravissant texte, j'en suis charmé.<br /> <br /> Bise Ambre
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P
Comme tu racontes bien, et comme tu nous les rends attachantes et proches de nous malgré le temps passé, toutes ces femmes...
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L
Mais c'est magnifique !<br /> <br /> Ça ce sont des histoires !
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C
C'est incroyable la façon dont tu racontes... passionnante !<br /> <br /> Tu es une conteuse née...!
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H
On est loin du devoir de Lakevio mais comme les histoires de famille sont toujours terribles, on est très souvent le résultat d'un "malentendu".
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M
Encore un très beau texte très bien écrit prenant appui sur tes souvenirs familiaux. Tes aïeules ne sont plus là mais tu perpétues leur souvenir avec ta jolie plume... <br /> <br /> Gros bisous Ambre et bon lundi.
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