Comment savoir?
Bonjour à vous,
navrée de vous avoir abandonnés ces jours derniers. Pour reprendre le mot de Daniel, un gros coup de blues, une lassitude immense, la certitude d’être dans une voie sans issue.
Puis la conscience de mon indécence. Des jérémiades alors que j’ai un toit sur la tête, un confort de vie dont je n’avais même jamais rêvé, pas de maladie grave pour ce que j’en sais ni aucun de mes proches, mes trois enfants vivants et en bonne santé !
Le silence. La réflexion (oui, oui, ça m’arrive !). Chercher une solution, des solutions.
On a tous nos problèmes, même si on n’est pas tous armés de la même façon pour y faire face.
Je pense à mon frère d’un seul coup. Oui je sais, je raconte souvent des choses personnelles, je suis comme ça, c’est ma responsabilité et mon choix. Je m’excuse par avance auprès de ceux que cela choque.
Mon frère donc.
C’est le benjamin de nous trois. Mon frère a un léger retard. Dans quelle case l’aurait-on mis aujourd’hui ? Autiste ? Handicapé mental ? Je ne sais pas. Toujours est-il que voilà, le rêve secret de Maman jeune femme, si elle devait avoir un enfant, que ce soit un fils. Elle l’attendait son fils, elle l’espérait. Quand je suis née, elle était heureuse. J’étais son premier-né. Quand ma sœur est née, elle ne l’a pas regardée pendant huit jours. C’est mon grand-père qui a choisi le prénom.
Puis mon frère est né. Maman n’a rien vu parce qu’ "il y avait un problème", on l’a endormie. Elle s’est réveillée à côté d’un berceau vide. Elle est rentrée chez elle sans son bébé. Elle qui avait tant désiré un fils, elle a pensé qu’elle était punie de quelque chose. Elle n'a jamais su de quoi.
Elle a appris bien après que son bébé était resté entre la vie et la mort pendant plus d’un mois. Elle trouvait ça louche que Papa, lui le parfait macho, fasse la vaisselle pour ne pas qu’elle se fatigue ni que son lait se tarisse (croyance de l’époque). Dans les années 50 on n’expliquait pas les choses comme maintenant. Mes parents ne savaient donc pas exactement quel était le problème, sinon que ce fils qu’ils avaient tant attendu (Papa dans ses lettres à ma mère enceinte de ma sœur l’appelait déjà par le prénom qu’ils lui donneraient), eh bien ce fils ne serait jamais comme les autres enfants. Quand j’ai vu Forrest Gump, j’ai pensé à mon frère. Quand j’ai lu Des fleurs pour Algernon, j’ai pensé à mon frère.
Ma mère a dit à mon père, qui était dur et autoritaire : "Celui-là, tu n’y toucheras pas". Elle l’a enveloppé de son amour, de sa tendresse, de sa chaleur. Elle a canalisé les pétages de plombs, les angoisses, les terreurs nocturnes. Elle lui a appris à lire et à écrire. Elle lui a tout donné.
J’ai toujours entendu des critiques méprisantes de la part de mes proches selon lesquelles mon frère est comme il est (ultra angoissé, "enfant gâté", qu’il pète les plombs à l’idée ne serait-ce que de téléphoner à quelqu'un ou ouvrir une lettre (auquel cas évidemment il fait appel à moi)) à cause de ma mère. Ma mère ne lui a rien appris, dit-on, même pas à se faire cuire un œuf. C’est vrai, il ne sait pas se faire à manger. Parce qu’il ne peut pas se faire à manger. Il a l’apparence d’un homme "normal" alors que ce n’est pas le cas.
Ces réflexions, maintenant que mes parents sont morts, me mettent hors de moi. Mais bon, comment empêcher les gens qui jugent sans savoir de juger sans savoir ?
Et pourtant, nous les parents, n’en sommes-nous pas tous là ? À faire du mieux qu’on peut ? Il me semble qu’entourer de son amour un être défavorisé par la vie est la solution la mieux adaptée qui soit !
Ce à quoi je voulais en venir, c’est qu’en fait, je pense être comme mon frère (bien que sans handicap)(encore que...), c’est-à-dire que j’aurais eu besoin que ma mère soit chaleureuse avec moi. Je me suis toujours sentie fragile comme du verre, incapable de me défendre (et ne parlons pas d'attaquer).
Ce n’est pas que ma sœur n’en aurait pas eu besoin elle aussi, mais elle donne l’impression d’être mieux armée, de mieux s’en sortir. Parfois, je me dis que si Maman m’avait donné ne serait-ce que le tiers, ou même le dixième de ce qu’elle a donné à notre frère, ça aurait été plus facile pour moi.
Mais bon, ça ne s’est pas fait, alors comment savoir ?Justement, mon frère a eu la totale la semaine dernière (avec ma sœur on a tenu à ce qu’il ne soit pas placé, qu’il reste dans le logement où il a toujours vécu avec nos parents) : chaudière en panne, plus d’eau, et il a fallu que je gère ça. Je ne parle pas des coups de fil passés au dépanneur, à son gardien, et j'en passe. Je parle de l’état carrément flippant dans lequel ce genre de contexte met mon frère, qui m’appelle à minuit en panique totale, ce qui fait que je me tape une crise d’angoisse dans la foulée.
Mais bon, ça y est, il a de l’eau et du chauffage. On va tous pouvoir dormir.
Bien alors, à part la séquence mélodrame familial, j’ai donc eu mon fils et sa petite compagne deux semaines à la maison. Ils sont repartis hier, sans aucun souci pendant le trajet en train. Toujours le petit pincement au cœur le jour où ils repartent, mais ils doivent revenir à Noël et ça viendra bien vite. Et puis il faisait un temps magnifique, un temps d’été indien, le ciel était bleu avec des nuages roses et tendres et un vent très doux soulevait les cheveux et balançaient les feuilles dorées des arbres qui longent la voie de chemin de fer.
Il y a eu des moments joyeux et drôles, ensemble avec mes filles, mes petits-fils toujours surprenants avec leurs réflexions du style : "Mamy, tu faisais des nuits blanches quand tu étais jeune et fougueuse ?"
Ah bon ? Je ne suis plus fougueuse et on ne m’a pas prévenue?
Je vous remercie infiniment pour vos commentaires et vos petits mots que je suce comme des bonbons.
Je les ai lus et relus. Je vous écoute avec attention, je réfléchis à toutes les choses que vous m’avez dites et qui m’aident et me réconfortent. Je ne réponds pas aux commentaires uniquement pour ne pas rester dans la plainte (la mienne).
Émilia, patience.. Les souvenirs heureux ou amusants reviendront, ne t'inquiète pas ;-)
Lakevio dont j'aimerais connaître le prénom, j'ai bien aimé ton sujet d'écriture de cette semaine. Dommage que je n'ai pas pu le faire.
Voilà. J’espère que de votre côté la vie coule comme une chanson. Racontez-moi à votre tour, voulez-vous ?