Une fois encore, la lecture d'un billet de Marie a fait ressurgir un souvenir, celui-là situé en très bonne place du hit-parade des anecdotes sororales, que ma frangine et moi-même évoquons sous le terme "camochoco" ("épisode de la camomille au chocolat").
Le choix du parfum chocolat/camomille risque de surprendre le lecteur non averti. Aussi, pour la bonne cohérence des échanges sur ce thème hautement intellectuel qu’est la composition d'une tisane "anti-gueule de bois", une petite explication s’impose.
C’était il y a longtemps, quand j’étais jeune et belle et que j’avais encore des cheveux. À cette époque, ma sœur et moi vivions ensemble avec nos compagnons respectifs. Enfin plus exactement c’est ma sœur qui vivait chez moi et celui qui allait devenir son compagnon chez mon mari. Ce qui fait qu’on s’est retrouvés tous les quatre au même endroit.
Un jour que Brie et moi cuvions notre devisions gaiement de choses et d’autres, assises toutes les deux en lotus sur le magnifique tapis rouge qui constituait alors tout le mobilier de ma salle à manger, ma sœur me lâche : "J’ai mal au bide!", en prenant la couleur gris souris du canapé que je n’avais pas encore.
Il me faut préciser que la nuit précédente nous avions fêté je ne sais plus quoi je ne sais plus comment (entraînées par nos hommes, car il est évident que c’était pas du tout notre genre).
Or moi, non contente d’être une sœur, je suis aussi une amie. D’autres que moi se seraient rendormies. Pas moi. Aussitôt, j’ai soulevé une paupière et j’ai dit à Brie : "Ch’vais te faire une camomo..camomo.. camomille !!!"
Et à peine avais-je posé le dernier point d’exclamation, je me lève. Le trajet entre la salle et la cuisine, il m’en souvient, n’était pas très droit. M’en suis-je formalisée ? Que nenni. J’ai compensé par une souplesse qui a toujours fait ma gloire.
C’est au moment du retour avec la tisane chaude que les choses se sont corsées. Ben oui, ma sœur c’est plutôt genre petit noir (en tout cas pour le café, ahahaha)(oui, bon). Où j’en étais ? Ah oui, donc, la camomille, inutile de vous dire que j’aurais eu du mal à lui faire croire que c’était un Kinder avec une surprise dedans.
"Tu vois pas que j’ai le vif désir de balancer ton bol par la fenêtre ?" qu’elle me fait, l’ingrate.
Je vous le demande : pouvais-je laisser ma pauvre soeur ingurgiter ma bouillasse jaune, alors qu’elle était toute fragilisée, quasi au bout du rouleau à cause d’une nuit passée à ingurgiter nous ne savions plus quoi ?
Non, non, non. Il me fallait trouver une solution. C’est ça le vrai amour du prochain, la vraie compassion d'une âme charitable dont la tige en empathie penche vers l’humain qu’on chérit ! Et fi de la dictature du réel quand votre sœur est à terre !!
"Attends, j’ai une idée !" que je lui fais.
Je ne sais pas pourquoi, il m’a semblé voir dans ses grands yeux azurs la zébrure d’une inquiétude sans nom. Pourtant, mon idée était super bonne, je suis sûre que vous auriez eu la même : pour passer le goût fadasse de la camomo, je suis allée dans la cuisine lui chercher du chocolat en poudre, et j’en ai versé une large louche dans la tisane.
Ma soeur a contemplé son bol rempli maintenant d'un liquide marronnasse à la surface duquel flottaient de riants grumeaux. Elle m'a regardé avec dans les yeux toute la souffrance du monde.
"Sgshtacamolghkavecduchocofdtupeuxtlamettrdqfvqshhsqhq!!", qu’elle m'a fait en guise de remerciements.
Vous voyez jusqu'où peut aller l'ingratitude des soeurs ??!!